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Ailleurs, Saint-Simon, après avoir énuméré les fautes du roi, se demande ce qu’on doit penser de sa gloire, et revient sur la même idée en montrant ce qui demeurera pour la postérité la vraie grandeur de Louis XIV. « Disons-le encore une fois avec l’épanchement d’un vrai Français naturellement si aise quand la vérité n’arrête point ses louanges. C’est du fond et de la durée de cet excès de maux d’estat et domestiques, les plus cruels à un roy superbe et si longuement accoutumé à donner la loy partout, et au bonheur le plus long, le plus complet et le plus suivi, c’est dis-je, du fond de cet abyme de douleurs de toute espèce que Louis XIV a su mériter du consentement de toute l’Europe ce surnom de Grand que les flatteurs lui avoient avancé devant le tems. Le nom de Grand qui ne fut alors qu’extérieur devint en ces derniers tems le nom justement acquis, le vrai nom, le nom propre de ce prince qui laissa voir avec simplicité, la grandeur de son âme, sa fermeté, sa stabilité, son égalité, un courage à l’épreuve des plus épouvantables revers et des plus cuisantes peines, une force d’esprit qui ne se cache rien, qui ne se dissimule rien, qui voit les choses comme elles sont, qui de là s’humilie en secret sous la main de Dieu, en espère tout contre toute espérance, affermit sa main sur le gouvernail jusqu’au bout, ne se rebutte de rien, ne s’obscurcit de rien, conserve son extérieur dans tout l’ordinaire de sa vie, toute sa bienséance, toute sa majesté, avec une égalité si simple et si peu affectée que l’étonnementet l’admiration qui en naissoient en tous ceux qui le voyoient, et en public et en particulier, leur fut tous les jours nouvelle; en sorte que nul ne pouvoit s’y accoustumer. « 

En résumé, entre les trois rois qu’il met en parallèle, Saint-Simon est juste pour Henri IV, bienveillant pour Louis XIII et ne se montre sévère qu’à l’égard de Louis XIV. Nous ne pouvons relever ici les exagérations de ses critiques, ni combler les étranges lacunes qui laissent dans l’oubli la politique extérieure et l’action militaire d’un règne qui a achevé l’œuvre d’Henri IV et de Richelieu. Il faudrait suivre pas à pas chacun des récits de l’auteur. Ce serait refaire en la résumant l’œuvre d’un des critiques les plus consciencieux qui se soit occupé de Saint-Simon[1]. Il suffit de dire que le Parallèle ne modifie en rien, sur Louis XIV, ce que nous a dit l’auteur des Mémoires : même mélange d’admiration et de passion, mêmes souvenirs d’une colère longtemps contenue. Parfois il se laisse aller à l’ardeur des sentimens qui l’emportent, puis la mémoire

  1. On ne saurait trop recommander de consulter sur ce point l’excellent livre de M. Chéruel : Saint-Simon considéré comme historien de Louis XIV, dans lequel l’auteur examine, discute et juge avec une rare compétence les allégations des Mémoires.