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Mais le mal qui est fait aujourd’hui ne peut plus se reproduire. Tous les bras du Rhône sont rejetés à l’est. Les marais qui entourent Aigues-Mortes sont en grande partie asséchés. On n’y entretient plus de l’eau que pour l’industrie du sel; tout le reste est devenu ou deviendra bientôt une plaine d’alluvions; la culture commence à s’emparer des bas-fonds de cette mer disparue, et, bien que la plage soit couverte de dunes instables et ne présente pas le relief immuable des côtes rocheuses, on peut affirmer que cette partie du littoral est dans un état de fixité très satisfaisant.

Telle n’est pas cependant l’opinion vulgaire. « Il est bien des choses que tout le monde dit parce qu’elles ont été dites une fois, » fait remarquer Montesquieu. De ce nombre sont la théorie du recul de la mer devant Aigues-Mortes et l’atterrissement de la plage par les apports incessans du Rhône.

Tous ceux qui ont étudié par eux-mêmes la topographie de cette partie de nos côtes savent très bien que la ligne du rivage n’a pas subi, depuis le XIIIe siècle, de variations appréciables. Il est vrai que, partout où une plage est sablonneuse et exposée à tous les coups de vent soit du large, soit de terre, le talus qui forme la barrière de la mer peut éprouver quelques oscillations sous l’action des tempêtes. A l’époque où la théorie du courant littoral de Montanari était presque universellement adoptée et où l’on admettait que ce courant devait faire le tour entier de la mer Méditerranée, suivre fidèlement toutes les anfractuosités de son littoral et passer même dans la mer de Marmara, la Mer-Noire et la mer d’Azof, on n’hésitait pas à lui attribuer aussi presque exclusivement la plupart des effets d’ensablemens qui se produisent dans les ports du golfe de Lvon; et c’est ainsi qu’on pensait que les sables du Rhône, transportés par le courant littoral, étaient la principale cause des ensablemens des ports de Cette et d’Agde, et étaient même entraînés jusque dans le golfe de Roses, en Espagne.

Rien n’est plus contraire à l’évidence des faits. Il est clair en effet que, si les sables du Rhône peuvent être entraînés dans une certaine mesure par les courans littoraux qui se forment sous l’influence des vents du sud et du sud-est, ils ne sauraient franchir les parages profonds où ils doivent se déposer dès qu’ils ne sont plus tenus en suspension par l’effet de l’agitation de la mer; et, d’autre part, l’examen des sables depuis le Rhône jusqu’en Espagne démontre de la manière la plus nette qu’il n’y a pas eu transport à une aussi grande distance. A Roses, les sables présentent un grain volumineux et assez grossier; à Agde et à Cette, ils sont beaucoup plus petits, réguliers et arrondis; aux embouchures du Rhône, c’est du limon. L’inverse devrait avoir lieu s’il y avait eu transport depuis le Rhône jusqu’au golfe de Roses.