Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/462

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

communiquerait avec le chenal maritime, de recreuser ensuite ce chenal et de disposer sur ses rives plusieurs lignes de voies ferrées le long desquelles les bateaux charbonniers pourraient venir régulièrement opérer leur chargement.

Le canal d’Aigues-Mortes à Beaucaire ouvre d’ailleurs l’accès du Rhône; quelques modifications de peu d’importance, un élargissement et un approfondissement sur place, l’allongement des écluses, peuvent le transformer facilement en canal maritime et permettraient à la batellerie fluviale de venir, sans rompre charge, jusque sous les murs d’Aigues-Mortes. Là s’opérerait le transbordement sur les navires de mer. Aigues-Mortes redeviendrait ainsi ce qu’il était au XIIIe siècle, un port en communication directe avec le grand fleuve, pouvant écouler tous les produits de sa vallée. Les houilles de la Loire, de leur côté, dont l’extraction dépasse de beaucoup les progrès de la consommation et n’est limitée que par l’insuffisance des débouchés, pourraient s’ajouter à celles du Gard et concourir avec elles à former ce précieux fret de sortie qui manque presque toujours à notre marine marchande.

Rien ne s’oppose à la réalisation d’un pareil programme. La question se résume en deux termes bien nets qu’il suffit de rapprocher pour que la solution s’impose d’elle-même. D’une part, un bassin houiller dont les produits dépassent de plusieurs centaines de mille tonnes toutes les demandes dans son rayon normal de consommation ; de l’autre, un port aujourd’hui désert, voisin des centres de production, en communication avec l’un des plus grands fleuves de la France, établi dans le fond d’un golfe tranquille, sur une plage à l’abri des ensablemens et dans des conditions exceptionnelles pour permettre l’établissement sur des terrains horizontaux et indéfinis d’un grand outillage d’exportation. Les Anglais, nos maîtres dans les affaires industrielles, n’ont jamais hésité à rapprocher ces deux termes, et ce rapprochement est un des principaux élémens de leur puissance maritime et commerciale.

La question d’ailleurs, qui n’a été jusqu’ici que timidement étudiée, vaut la peine d’être traitée à fond. La transformation et le perfectionnement de notre matériel de transport sont une œuvre nationale. Le gouvernement en a pris depuis peu l’initiative d’une manière vigoureuse et conduit cette entreprise avec une intelligence et une autorité universellement reconnues. L’ouverture d’un port charbonnier à Aigues-Mortes serait certainement une de ses plus belles créations. Elle intéresse trop notre marine dans la Méditerranée et nos grandes industries dans le midi de la France pour ne pas appeler sa sollicitude et éveiller toutes ses sympathies.


CHARLES LENTHERIC.