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révolution et non par voie d’autorité, par les idées et non par le glaive, c’est-à-dire par les moyens qui devaient rendre ces destinées chères à la France d’alors; aussi se portait-il bravement partout où il lui semblait voir quelque erreur par laquelle la cause de la liberté pouvait être compromise ou souillée. Il avait reconnu avec perspicacité dans les hommes de cette première agitation une tendance funeste à l’imitation presque servile des acteurs de notre révolution française, même des plus équivoques ou des plus détestables, et il s’efforçait de toute son âme à prémunir l’Allemagne contre les fautes et les crimes qui avaient eu chez nous des conséquences si déplorables et encore plus durables. Et puis cet entêtement d’irréligion, cet étalage d’impiété, n’étaient-ils pas une offense à cette concorde espérée de la raison et de la foi où il voyait le meilleur avenir des sociétés? De même que, devant les audaces révolutionnaires des jeunes hégéliens, Saint-René Taillandier tremblait pour la cause de la liberté, devant le carnaval littéraire de la jeune Allemagne, il tremblait pour l’idéal et le grand art. Dans les œuvres publiées par les écrivains de cette phalange, Saint-René Taillandier constatait avec tristesse l’abandon insultant de tout ce qui avait fait la grandeur de la période précédente, la dépravation calculée et charlatanesque de tout ce qui constituait le génie allemand, la substitution d’une littérature matérialiste et athée à une littérature idéaliste, toujours pure même dans ses fantaisies les plus excessives, toujours religieuse même dans ses hérésies les plus prononcées. Il est certain en effet que l’impression générale que laisse cet exposé des incartades de l’Allemagne littéraire d’alors est celle d’un XVIIIe siècle réduit à la période de fermentation malsaine du règne de Louis XVI, période qui n’aurait pas été précédée des grands mouvemens d’opinion et de pensée qui se rattachent aux grands noms de cette époque, Naigeon sans Diderot, Beaumarchais sans Voltaire, Mably sans Montesquieu. Je ne sais trop cependant s’il y avait entre cette nouvelle littérature allemande et la précédente un désaccord aussi formel que croyait l’apercevoir Saint-René Taillandier, et si, comme tant d’autres esprits élevés, il n’a pas été quelque peu dupe d’une certaine magie trompeuse propre à la littérature allemande même dans ses productions les plus nobles, magie qui, sous les illusions de l’idéalisme, cache un naturalisme si robuste, un réalisme si concret, une morale si pleine d’humaine superbe, des passions si terrestres en dépit de leurs lyriques appels à l’infini. Le XVIIIe siècle allemand avait existé cependant, il avait existé avec Lessing et Herder, Kant et Hegel, Goethe et Schiller; seulement ce XVIIIe siècle, on s’obstinait à l’appeler le XVIIe siècle allemand, et de là cette contradiction apparente qui affligeait Saint-René Taillandier.