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l’indépendance de la société civile, de contenir les influences irrégulières de cléricalisme, de maintenir les droits de contrôle et une certaine juridiction de l’état sur l’enseignement public. C’est une politique qui n’a rien de nouveau ; elle a été pratiquée et suivie avec autant de fermeté que de mesure par d’autres gouvernemens, et s’il ne s’agissait que de s’inspirer de cette politique dans des conditions nouvelles, on aurait raison de dire qu’on ne fait que continuer une tradition nationale. On aurait le droit d’invoquer les souvenirs de 1833 et de 1845, sans parler de temps plus anciens qui commencent à être un peu vieux ; mais on oublie deux choses. D’abord, il y a un demi-siècle, même en 1845, une certaine législation existait encore. L’enseignement n’avait pas cessé d’être un monopole d’état ; les pouvoirs publics le défendaient, ils hésitaient, avant d’aller au-delà, avant de céder le terrain, — ils ne tentaient aucune réaction, ils ne revenaient pas en arrière. Maintenant tout a changé. Depuis trente ans, la liberté de l’enseignement est dans les lois, elle est entrée dans les mœurs, et ce qu’on propose sous toutes les formes au nom d’un régime qui s’appelle la république, c’est tout simplement d’accomplir la réaction la plus étrange, par l’abrogation d’une liberté consacrée depuis trente ans, pratiquée avec succès, devenue chère à une partie considérable de la société française ! Autre différence plus grave. Lorsque les politiques d’autrefois qu’on invoque, qu’on prétend continuer, défendaient par leurs actes, par leurs discours, la société civile, les droits de l’état sur l’enseignement, ils n’avaient ni malveillance ni arrière-pensée ennemie ; ils se gardaient d inquiéter les croyances, de troubler les cultes traditionnels. Quand M. Guizot réalisait en 1833 sa grande réforme de l’instruction primaire, il introduisait l’enseignement religieux au premier rang dans les écoles. Tous ces hommes éminens, dans leur politique laïque, faisaient œuvre de libéraux supérieurs et éclairés. Aujourd’hui non-seulement on prétend revenir en arrière en menaçant une liberté de trente ans, mais cette œuvre on l’entreprend, on la poursuit avec une pensée de haine et de guerre qui se produit sous toutes les formes, qui en vérité va souvent jusqu’à la manie et au ridicule.

C’est poussé à un tel point de fixité et de puérilité que cela ressemble à une maladie, et qu’on nous passe le mot, à une sorte d’hystérie anticléricale. Que voulez-vous ? Aujourd’hui ce mot de clérical répond à tout, explique tout, il est la raison de tout. Qu’il s’agisse de la révocation des fonctionnaires, fût-ce des officiers de l’armée territoriale, d’une nouvelle proposition parlementaire, d’une interpellation, de cette discussion inutile du sénat lui-même sur le repos du dimanche, sur une loi oubliée et inappliquée, soyez sûr que le cléricalisme est en jeu ; c’est l’ennemi qu’il faut poursuivre sous tous les déguisemens ! Les manifestans de la commune peuvent être incommodes et importuns ; mais