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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/801

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La question se resserrait et elle ne pouvait plus être éludée. Elle avait cela de grave qu’elle précisait sous une forme saisissante les deux directions possibles de la révolution de juillet, qu’elle mettait aussi au grand jour la volonté personnelle du roi, la résistance d’un des hommes qui avaient servi avec le plus d’éclat la monarchie de 1830 dans ses dernières épreuves. Au moment décisif de la crise, M. Thiers avait dit : « Il faut rompre la glace. Le roi ne veut pas l’intervention, nous la voulons; je me retire. » Le conflit, poussé à bout, ne pouvait en effet avoir d’autre issue, et après un peu plus de six mois d’existence, le ministère du 22 février disparaissait. Avant la séparation définitive, il y avait aux Tuileries, entre le souverain et son ministre de la veille, un dernier et intime entretien, dont le seul témoin était M. de Montalivet, qui n’avait rien négligé pour adoucir la crise. M. Thiers, avec le respect un peu familier qu’il savait garder, ne craignait pas de parler avec une certaine hardiesse des difficultés qu’il avait rencontrées plus d’une fois comme président du conseil, de ce qu’on lui avait laissé ignorer, des droits d’un ministre parlementaire. Ce n’était pas une rupture; la conversation était néanmoins assez vive pour que le roi dit à M. Thiers : « Vous engagez le duel, je suis bien obligé de l’accepter. Souvenez-vous, mon cher Thiers, de ceci : vous me passerez votre épée au travers du corps; mais vous périrez aussi de la blessure que vous me ferez. » Le roi prévoyait de loin. Ce qu’il y avait de plus clair, c’est que l’expérience du 22 février avait été un premier pas en dehors des voies du 11 octobre, et qu’en sortant de ces voies par un premier démembrement, la monarchie de 1830 n’avait pas sans doute épuisé sa fortune : elle restait moins garantie par cela même qu’elle ne devait plus retrouver que fractionnées, divisées ou ennemies, des forces un moment alliées dans la plus belle des œuvres, la fondation d’un gouvernement libre.


CH. DE MAZADE.