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surexcités par le fanatisme religieux et par l’exemple des soldats, attaquent aussi leurs voisins bulgares. Dans le district de Mallaish, une bande de Turcs armés se jette sur le village de Metrosin, sous prétexte qu’on y prépare une insurrection. Toutes les maisons au nombre de cent sont pillées, La bande se dirige vers le village voisin ; de Bairovo, où sont stationnés quelques soldats de l’armée régulière. Tous ensemble se précipitent sur les maisons des chrétiens, les pillent, y mettent le feu, et tuent à coups de fusils ceux qui tentent de fuir. Les jeunes femmes sont réservées pour d’autres barbaries et ensuite égorgées. Ces faits s’expliquent par la situation même de la province, et ceux qui l’ont créée sont responsables des atrocités qui en sont la conséquence presque inévitable. Les musulmans sont exaspérés de leur défaite et de l’affranchissement de la Bulgarie et de la Roumélie. Ils savent que les chrétiens de la Macédoine n’ont qu’un désir, se réunir à leurs frères émancipés. Ils peuvent donc se croire menacés. En tout cas, ils se savent en présence de l’ennemi de leur race et de leur religion. Ils sont armés jusqu’aux dents, et les infortunés Bulgares n’ont aucun moyen de se défendre. Comment leurs passions surexcitées, que rien ne retient, ne les porteraient-elles pas à toutes les violences ? D’ailleurs, l’un des commandans de l’armée n’est-il pas Chefket-pacha, le héros des massacres de la Bulgarie, et n’est-ce pas là un encouragement à toutes les violences ?

Les impôts sont un autre moyen de ruiner les chrétiens. Ils ont d’abord à payer une taxe pour l’exemption du service militaire. L’impôt foncier est réparti par village et ensuite par famille. Mais les taxateurs sont des musulmans, et naturellement ils taxent les chrétiens quatre fois plus que leurs coreligionnaires. On estime que les premiers paient 70 pour 100 du produit de leurs terres. Aussi la culture recule de toutes parts. Le désert se fait dans ce riche pays, que la liberté et la sécurité transformeraient en un paradis.

L’Europe ne peut tolérer la prolongation d’une semblable situation, car elle l’a créée à Berlin, et en vertu du traité qu’elle y a signé, elle a le droit d’y mettre un terme. L’article 28 porte que des réformes sérieuses dans le genre de celles introduites en Crète seront appliquées dans les provinces restées soumises à la Porte. Le projet de réforme doit être élaboré par une commission où l’élément indigène sera largement représenté, et il doit être soumis à la ratification de la commission européenne de la Roumélie orientale[1]. La note de lord Granville aux autres puissances

  1. Cette stipulation a été violée pour la Macédoine. Dans la commission indigène chargée de préparer un projet de reformes, l’élément bulgare, de beaucoup le plus nombreux, n’est pas représenté. C’est une odieuse iniquité que la commission européenne devrait faire cesser.