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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 40.djvu/581

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articles d’Antonelle que mous avons analysés plus haut. Quant à Bodson, ses lettres à Babeuf portent sur le robespierrisme, c’est-à-dire sur le système de la terreur. Babeuf avait commencé par maudire ce système et déclarer qu’il n’était pas à la hauteur ; mais maintenant ses vues étaient changées : c’était lui qui défendait le robespierrisme. Il trouvait que ce gouvernement dictatorial était « diablement bien imaginé. » Ils ont commis des crimes, dira-t-on. « Pas tant ! » Bodson objectait l’exécution d’Hébert et de Chaumette (ce qui prouve bien l’affiliation du babouvisme et de l’hébertisme) : « Mais quand même ils seraient innocens, je justifierais encore Robespierre. Un régénérateur doit voir en grand. » Quant aux vaincus, quels qu’ils soient, « tant pis pour eux ! » En un mot, « le robespierrisme, c’est la démocratie. » Bientôt, dans un des numéros du Tribun du peuple, Babeuf allait jusqu’à défendre les massacres de septembre, en prétendant que la présence des commissaires de section avait « légalisé les jugemens ». et que les assassins étaient « les prêtres d’une juste immolation. »

Il déclare que « ces exterminations étaient légitimes, » que c’était « une tragédie utile et indispensable, » et que s’il y a quelque chose à regretter, c’est qu’ « un 2 septembre plus général n’ait pas fait disparaître tous les affameurs[1]. » Ainsi, à mesure qu’il approchait de son but, Babeuf répudiait de plus en plus ces idées de modération et d’humanité qu’il avait manifestées d’abord. Il sentait qu’il ne pouvait réussir sans violence, et il se justifiait lui-même d’avance des moyens qu’il serait forcé d’employer.

Nous n’entrerons pas dans le détail des faits qui signalèrent la formation, le progrès et les développemens de la conspiration de Babeuf. On les trouvera dans les écrits relatifs à cette affaire, dans Buonarotti et dans M. Edouard Fleury. Considérons seulement le but que l’on se proposait et les moyens qu’on comptait employer, Buonarotti nous dit que la plupart des pièces ont été détruites. Il ne reste que celles qui avaient été saisies au domicile de Babeuf et qui figurent au procès, plus quelques autres que Buonarotti avait conservées et qu’il a données dans son ouvrage (tome II, Appendice). Deux pièces surtout sont importantes : l’Acte d’insurrection qui indique les mesures transitoires qui devaient être prises immédiatement au moment du succès, et le Décret économique, qui devait fonder l’organisation sociale de la république des égaux.

Parmi les mesures transitoires, les plus importantes étaient celles-ci : Des vivres de toute espèce devaient être portés au peuple sur les places publiques (art. 14). — Les boulangers devaient être réquisitionnés pour faire continuellement du pain, que

  1. C’est ainsi que G. Naudé, dans ses Coups d’état, nous dit que, si la Saint-Barthélémy n’a pas réussi à extirper l’hérésie, c’est « qu’on n’a pas tiré assez de sang. »