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s’agite sur place, celle-là monte par degrés vers les hauteurs de l’infiniment grand, et descend également par degrés dans les profondeurs de l’infiniment petit.

L’histoire ne fournit pas seulement une démonstration à la thèse de l’école positiviste sur l’impuissance radicale de la métaphysique ; elle lui permet de tirer de la succession des méthodes, — théologique, métaphysique, scientifique, — une loi qui en explique la raison historique, tout en fermant à la métaphysique les voies de l’avenir. Il faut bien s’entendre sur le caractère et la portée de cette loi de l’école qu’il importe de ne pas confondre avec une autre loi parfaitement établie avant l’avènement du positivisme. L’histoire moderne, particulièrement l’histoire de la philosophie, compte depuis longtemps parmi ses vérités générales la distinction de deux âges dans la vie, soit collective, soit individuelle de l’humanité : c’est l’âge de l’imagination et l’âge de la raison, l’époque religieuse et poétique, et l’époque philosophique et scientifique. La psychologie est d’accord avec l’histoire pour reconnaître que l’esprit humain débute par les facultés et les œuvres de spontanéité, religion et poésie, hymnes et chants, et qu’il finit par les facultés et les œuvres de réflexion, raisonnement, observation, analyse, science, prose et exercices logiques. Il y a une exception apparente à cette loi : ce sont les religions et les poésies d’un caractère savant et réfléchi qui ont pris naissance et ont fleuri au sein d’une civilisation avancée. Mélange d’imagination et de réflexion, de théologie et de métaphysique, de génie naturel et d’art, ces œuvres complexes n’en ont pas moins pour caractère propre la prédominance, les unes du surnaturel et les autres de la fiction : ce qui explique les noms que toutes les langues humaines leur ont conservés. Cela n’infirme donc en rien la loi historique qui fait succéder partout et toujours, dans un ordre invariable, les deux âges de l’humanité dont on vient de parler. La loi dont l’école positiviste s’attribue la découverte avec raison, mais à ses risques et périls, est tout autrement précise et systématique. Elle comprend un terme de plus dans sa synthèse. L’histoire de l’esprit humain, telle que l’entend le positivisme, se partage, non en deux, mais en trois états qui contiennent tout son développement, depuis sa première origine jusqu’à nos jours, l’état théologique, l’état métaphysique, l’état scientifique, qui, à proprement parler, ne fait que commencer. C’est par la théologie que l’esprit humain a débuté ; à la théologie a succédé la métaphysique qui l’a remplacée, tout au moins dans le monde de la pensée, tandis que la théologie se conservait dans le monde du sentiment et de l’imagination. A la métaphysique succède en ce moment la science qui tend irrésistiblement à la remplacer. Telle est la loi de l’histoire.