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Valence et vicaire général de l’archevêque d’Embrun, est mort en 1788 prieur de Mortoroy en Bourgogne. Un autre prenait du service dans les gardes suisses en Espagne ; et tandis que le second de ses frères s’engageait parmi les gardes du corps de Charles-Emmanuel, le troisième faisait campagne comme officier français sous les ordres du maréchal de Saxe. Puis un dernier emmené par l’empereur Joseph, lors de son voyage en France, devenait major-général, colonel propriétaire du régiment impérial des bombardiers autrichiens et gouverneur de la place de Peschiera, qu’il commandait encore en 1816. Les goûts militaires et un certain esprit d’aventure paraissent avoir toujours dominé dans cette race.

Ce fut à la suite d’une affaire d’honneur malheureuse que le grand-père de Lanfrey dut, en 1788, quitter le régiment français ou il servait, et se réfugier en Savoie, son pays d’origine. Quand la Savoie devint française sous la première république, son fils entra avec joie dans les rangs de cette armée où plusieurs de ses parens avaient déjà fait leurs preuves de valeur. Redevenu sujet du roi de Piémont en 1815, il rapportait à Chambéry, avec le grade de capitaine de hussards, cette sorte de culte pour l’empereur Napoléon gardé par presque tous ceux qui ont servi sous ses ordres. Élégant de tournure, brave à l’excès, orgueilleux de sa naissance et de ses hauts faits personnels, doué d’une indomptable énergie de caractère, passablement vaniteux, gai, spirituel et fort emporté, il offrait assez bien le type de ces beaux militaires français dont les étrangers aiment parfois à plaisanter un peu, afin de se venger sans doute d’avoir été souvent battus par eux. Mlle Thérèse Bolain, une très belle personne tenant un magasin de dentelles et de nouveautés de luxe à Chambéry, était âgée de quarante-trois ans quand elle accepta les hommages de l’officier retraité. La considération dont M, ne Lanfrey jouissait dans le monde commerçant de sa ville natale demeura toujours fort grande. Sans partager son enthousiasme pour la gloire de celui qui avait fait verser tant de larmes autour d’elle, aux mères, aux femmes et aux sœurs des habitans de la Savoie, elle sut non-seulement vivre en paix avec son mari, mais s’en faire respecter. Ses qualités vraies, généreuses et austères en imposaient à cet homme un peu léger, jamais elle n’avait consenti à faire le sacrifice de ses convictions religieuses au sceptique incorrigible qui, au jour de sa mort, mit le prêtre à la porte de sa chambre avec un geste et d’une voix dont son fils, alors âgé de six ans, disait avoir gardé toute sa vie le terrifiant souvenir. Les traits impétueux de son caractère, ses façons un peu altières, les côtés aristocratiques de sa nature et les éclairs de sa mordante raillerie semblent avoir été pour lui un héritage paternel, tandis qu’une habituelle hauteur d’âme et la plus rare distinction morale lui seraient venues de sa mère, à laquelle allait