morte. Son intelligence s’était un peu affaiblie dans les dernières années, mais elle a parfaitement su et compris que son fils était devenu député et ambassadeur. Elle a goûté la joie tant souhaitée de le voir arrivé, et Lanfrey a eu aussi son moment de bonheur en la voyant à son tour si heureuse à cause de lui.
Si j’ai insisté sur la distinction personnelle de Mme Lanfrey, ce n’est pas seulement pour procurer au lecteur le plaisir de faire connaissance avec une de ces belles et fortes âmes, comme il n’est pas rare d’en rencontrer, en province, au sein de la petite bourgeoisie, c’est aussi parce que, discrètement exercée, l’influence d’une telle mère est demeurée prépondérante sur son enfant et que, pour rendre compte des années de la jeunesse de Lanfrey, il nous faudra le plus souvent recourir aux lettres si confiantes et si détaillées qu’il n’a point cessé de lui adresser dans cette petite capitale de la Savoie dont elle n’a jamais voulu sortir. Cependant, ni la race ni le milieu ne suffisent à donner entièrement la clef du caractère d’un homme, et, quand il s’agit en particulier d’un écrivain, il n’est pas tout à fait indifférent de tenir compte du milieu dans lequel il est né et du spectacle que la nature a offert à ses premiers regards. Le paysage que Lanfrey eut tout d’abord sous les yeux était splendide. Ses grands parens maternels possédaient une petite campagne sur la colline des Charmettes, car le nom des Charmettes n’est pas, comme on le croit généralement, celui de l’habitation de Mme de Warrens, mais désigne tout simplement un faubourg de la ville de Chambéry, où s’étagent les uns au-dessus des autres, des vignobles, des vergers et des constructions rustiques, couronnées de verdure. Celle que possédait la famille de Lanfrey était une sorte de cellier en assez mauvais état, où des personnes n’ayant jamais connu les conforts de la vie pouvaient seules demeurer. C’est là que, pendant la belle saison, Lanfrey a passé tous les jours de sa première enfance. La maisonnette, adossée à l’une des hauteurs de la colline des Charmettes, est dans une situation ravissante. Elle domine une partie de la vallée de Chambéry, et de là, pour peu que le ciel soit clair, on aperçoit à travers les arbres un coin du lac du Bourget. Une pente formée de plusieurs terrasses, toutes plantées de hautes vignes entrelacées, descend doucement jusqu’au manoir jadis habité par Mme de Warrens et qui est resté tel qu’il était il y a cent ans. Les mêmes chemins conduisent aux deux enclos qui se touchent. Ils sont, comme les lanes anglais, bordés de haies dont les grands arbres opposent aux rayons du soleil une voûte épaisse qu’il a peine à percer, même au milieu du jour. Les touristes qui vont en pèlerinage visiter les lieux rendus fameux par les Confessions peuvent suivre encore la route peu fréquentée où l’on n’entend que le murmure d’un ruisseau qui coule assez