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Mais le terrain est glissant et l’on fait bien des chutes. Qu’importe, pourvu qu’on accomplisse sa destinée !


Ces fières aspirations de son fils ne laissaient pas que d’inquiéter un peu Mme Lanfrey ; elle fait toutefois effort pour les accepter. Les frais du séjour à Paris, c’est-à-dire le prix de la pension à l’institution Bellaguet où il était rentré, les dépenses nécessaires pour subvenir à ses études ont augmenté au-delà de ses prévisions. Qu’à cela ne tienne ! Sa confiance et sa tendresse sont les plus fortes. Elle redoublera d’économie et prendra plutôt sur son nécessaire. Celui pour lequel elle s’impose tant de sacrifices les devine et lui en sait un gré infini. « Je vous ai toujours crue incapable d’une faiblesse, écrit Lanfrey à sa mère, mais je craignais cependant qu’à la longue le doute et le découragement ne vinssent à s’emparer de vous. Tant d’autres auraient succombé à votre place ! Mais vous n’avez pas voulu laisser inachevée cette œuvre de votre dévoûment et de votre amour. Dieu seul peut vous rendre tout cela ; moi je ne peux que vous aimer et vous le dire. Essayer de vous payer un jour votre affection en biens terrestres et misérables, ce serait me rendre indigne de vous… Vous avez compris, ma bonne mère, ce que je vous disais il y a quelque temps : je ne veux écrire que pour vous seule. » Et à votre tour, vous me dites maintenant : « N’écris que pour moi seule. » Ce mot seule me révèle bien des ennuis, des chagrins que vous avez dû éprouver cette année. Prenons patience, nous nous en consolerons ensemble. Oui, vous avez raison ; personne entre vous et moi. C’est là la première condition de la vraie amitié. Parlons à cœur ouvert, ainsi que cela doit être entre une mère et son fils, et il y aura encore de bien beaux jours pour nous. »

C’est bien, en effet, à cœur ouvert que, pendant les années 1846 et 1847 qu’il passe à Paris, Lanfrey entretient sa mère de ses études, et surtout de ses visées pour l’avenir ! Ses succès scolaires semblent importer assez peu au jeune écolier. Les lectures qu’il fait, tous les exercices d’esprit qu’il s’impose, tous les travaux d’érudition auxquels il se livre, paraissent n’avoir qu’un but encore éloigné, mais déjà précis dans sa pensée. Il parle de lui-même, il se juge, moins dans le présent qu’au point de vue de ce qu’il espère être capable de pouvoir faire un jour. Il se montre déjà préoccupé des « œuvres solides et durables, » qu’avant peu il lui sera donné de produire ; le tout entremêlé d’élans de tendresse pour sa mère, avec des retours d’enthousiasme et de regret pour ses chères montagnes de la Savoie, qu’il aperçoit toujours dans une lointaine perspective.


… Maintenant il me reste à jeter un regard en arrière sur cette année qui vient de s’écouler et à vous dire ce que j’en pense. Eh bien ! je pense