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n’a aucun sens ou a un sens métaphysique. Si on entend par liberté le libre arbitre de certains psychologues, il est inutile de dire à l’homme : « Reste libre, » puisque, selon ces psychologues, il ne dépend pas de l’homme d’avoir ou de ne point avoir le libre arbitre, dont l’usage seul est à la disposition de sa volonté. On veut donc parler d’une certaine liberté métaphysique, d’un certain état de perfection et d’indépendance essentielle ; mais alors il faut dire : « Être qui n’es pas encore vraiment libre, deviens libre. » M. Vacherot a beau perfectionner sa formule, il la laisse exposée aux mêmes objections : « Être que Dieu a fait homme, dit-il, reste homme. Ce mot, bien expliqué par la psychologie, dit tout. » C’est sans doute par métaphore que M. Vacherot parle ici de Dieu, car, s’il fallait prendre les mots au pied de la lettre, ce serait l’introduction dans la psychologie d’une finalité établie par Dieu : deux postulats métaphysiques à la fois. Quant à « rester homme » au sens psychologique, c’est là un précepte aussi inutile que si on disait : « Triangle, reste un triangle. » Le point délicat, ce serait de dire par exemple : « Triangle scalène, deviens équilatéral ; » il faudrait alors justifier le conseil par des raisons de beauté ou d’utilité et montrer en outre qu’il est praticable. Au fond, ce n’est pas de rester homme que l’on veut nous conseiller, c’est de devenir homme en un certain sens supérieur, homme plus raisonnable, plus libre, plus sensible, en un mot plus parfait. Mais sur quoi fonder cette loi : « Tends à la perfection de ton espèce, » sinon sur des raisons d’utilité individuelle ou collective, qui seules pourraient fonder une morale positive et que M. Vacherot trouve insuffisantes, ou sur un devoir a priori, qui ne peut fonder qu’une morale métaphysique ?

M. Vacherot déguise son appel à la métaphysique sous le nom de « synthèse psychologique. » Il reproche à Jouffroy, — et avec beaucoup de raison, — de s’en être tenu dans la psychologie à la simple analyse de nos facultés. « Développe toutes les facultés de ta nature, » disait Jouffroy. M. Vacherot répond excellemment : « Tous ces besoins, tous ces instincts, toutes ces facultés réclament à la fois. Tel besoin presse, tel instinct pousse ; l’appétit commande pendant que la raison parle, que la passion crie, que la sensibilité pleure ou s’épanouit. Voilà donc une formule anarchique dont il serait impossible de tirer une véritable règle d’action. Donc à la première formule il faut substituer celle-ci : Développer toutes les facultés de notre nature en subordonnant toujours celles qui ne sont que les moyens et les organes à celles dont la réunion constitue la fin propre de l’homme… Notre nature est complexe, et dans cette complexité il y a lieu de distinguer des faits d’ordre supérieur et des faits d’ordre inférieur. » De là, nécessité d’une « coordination, » d’une « synthèse psychologique. » Oui, mais reste à savoir