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journal leur ait fait leur opinion. D’autre part, je suis très vivement invectivé par mes bons amis les républicains, qui ne peuvent me pardonner d’avoir montré qu’ils ne sont pas infaillibles et qu’ils ont fait quelques bévues.


Somme toute, s’il se plaint de quelques-uns de ses bons amis les républicains, Lanfrey se loue en même temps de ceux qui lui sont venus généreusement en aide.


… En mesurant la distance que j’ai franchie du premier pas que j’ai fait dans le monde, ils savent où pourra me porter le second. Ils savent aussi que ce n’est pas sans sacrifices qu’on arrive à de tels résultats. Ils connaissent mes souffrances et ma vie de travail. En me voyant vivre pauvre et isolé après avoir refusé la rédaction d’un journal qui m’a été offerte de la part du prince Napoléon avec tous les avantages qui s’y rattachent, ils comprennent que je suis de ceux qu’on n’achète pas parce que rien ne peut les payer. En me voyant, malgré cette position ingrate et humiliée, recherché, caressé et aimé de tous les hommes de génie et de tous les hommes de bien qui viennent tous les jours me chercher dans ma solitude, ils comprennent qu’il y a à cela un motif ; c’est que ma place est marquée parmi eux. Leur sympathie me l’assure d’avance.


Parmi les relations qu’il lui fut donné de contracter alors, Lanfrey place au premier rang une amitié qui a pour lui un charme infini.


… Je veux parler, écrit-il à un ami, de celle dont m’honore M. Scheffer, la plus noble nature, le plus beau caractère et l’intelligence la plus élevée peut-être de tous les hommes avec qui je me suis trouvé en contact. Ce grand et rare artiste me traite comme un fils, avec une bonté qui me rend confus, et je ne puis te dire combien je l’admire et je l’aime. Toutes les personnes que je rencontre chez lui me sont entièrement sympathiques. Je ne parle pas de sa fille, qui est un idéal de beauté, de bonté et d’intelligence, ni de sa femme, qui est une partie de lui-même. Je vois là Manin et Montanelli, grandes âmes italiennes, fils du soleil emprisonnés dans nos brouillards, natures d’ailleurs si différentes : l’un l’action, le mouvement, l’impétuosité ; l’autre la rêverie, la poésie, le sentiment ; Henri Martin, esprit ardent et généreux ; Ferdinand de Lasteyrie, Bethmont, Lafayette, Renan, jeune écrivain des Débats, qui, à lui seul, a plus de talens que le journal tout entier, et beaucoup d’autres dont les noms ne me reviennent pas. C’est là mon coin du ciel.


Il y eut toutefois d’autres étoiles qui se levèrent alors dans le ciel de Lanfrey. En même temps qu’Ary Scheffer l’admettait