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II

Il existait, dans le comté de Kerry, une famille catholique qui avait son principal établissement à Darrynane. L’un des membres de cette famille, Daniel O’Connell, né en 1742, s’était engagé dans un régiment irlandais au service de la France. Il fit une brillante carrière, devint colonel du régiment de Salm-Salm et inspecteur-général. Ayant refusé de servir la république, il émigra, entra dans l’armée des princes, puis revint en Angleterre, où il organisa une brigade irlandaise, qu’on envoya au Canada et dans les Indes. Sous la restauration, il servit de nouveau la France et fut fait maréchal de camp.

Un de ses neveux, qui s’appelait Daniel comme lui, était destiné à jeter un plus grand éclat sur sa famille. Né en 1775, il fut adopté par un oncle célibataire qui lui légua plus tard la terre patrimoniale de Darrynane. Il fut élevé d’abord dans une école clandestine, la liberté d’enseignement n’existant pas à cette époque en Irlande. En 1791, il fut envoyé sur le continent pour achever ses études au collège catholique de Saint-Omer avec l’un de ses frères. Une année s’était à peine écoulée, que la révolution dispersait les ordres religieux. Le collège de Saint-Omer fut fermé. Daniel O’Connell et son frère, n’ayant pas pu, pour une raison quelconque, s’embarquer immédiatement, se rendirent à Paris, où ils passèrent quelques mois. Là ils assistèrent à quelques-unes des plus terribles scènes de la révolution. Ils quittèrent enfin Paris le jour même de l’exécution du malheureux Louis XVI et allèrent s’embarquer à Calais. Il était temps pour les deux jeunes gens de partir. Peu de jours après, la guerre était déclarée entre la France et l’Angleterre.

Daniel O’Connell, sur lequel sa famille fondait de brillantes espérances, justifiées par son intelligence précoce, se destinait à la profession d’avocat. Il se fit inscrire au barreau de Dublin en 1798, l’année même où éclatait la formidable insurrection des Irlandais-Unis. Son séjour en France et le spectacle des désordres de 1792 et de 1793 lui avaient inspiré une profonde horreur pour l’emploi des procédés violens et des moyens révolutionnaires. Il désapprouva hautement la prise d’armes de 1798. Son patriotisme n’en était pas pour cela moins ardent ni son opposition à l’Angleterre moins passionnée. Dès que le projet d’union fut connu, il le combattit avec énergie. En 1799, dans une réunion de catholiques, il prononça contre cette mesure un grand discours qui commença sa réputation oratoire. L’année suivante, toujours pour protester contre l’union, il organise un grand meeting catholique, qui se tient le 13 janvier à la Bourse de Dublin. Quoique bien jeune encore, c’est lui qui