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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/655

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France l’avènement pacifique, régulier, périodique de chaque parti au gouvernement du pays, qui a fait la force et la grandeur de l’Angleterre. Elle accepta une solidarité funeste et contre nature avec des opinions ennemies de la liberté et auxquelles la république servait de refuge en attendant le jour où elles devaient se retourner contre elle. Où il n’y avait qu’une seule foi politique, elle créa deux partis irréconciliables dont les haines, les agitations, les discordes amenèrent au sein de la nation le désir du repos à tout prix, l’indifférence, le dégoût de la liberté, et finalement la ruine des institutions libres. » Est-il possible de tenir un plus raisonnable langage ?

C’est la même inspiration devenue de plus en plus impartiale, calme et modérée, qui lui a dicté plus tard l’article sur le Régime parlementaire sous le roi Louis Philippe. Lanfrey a gardé toutes ses convictions républicaines ; il n’en sacrifie aucune, mais il a définitivement laissé de côté les préjugés de parti contre les personnes. Il n’a plus besoin d’aucun effort sur lui-même pour reconnaître, « à côté des erreurs qui leur sont, dit-il, justement reprochées, les rares qualités, les grands prestiges qui ont pu tenir si longtemps enchaînée à la parole de quelques hommes éloquens une nation que d’autres n’ont su garder que par un continuel recours aux armes de la ruse et de la force. Le règne d’une autorité morale a toujours sa grandeur, même lorsqu’il est employé au service d’idées fausses ou incomplètes. Ce mérite, le gouvernement de juillet l’a eu jusqu’au bout. On ne devrait pas l’oublier. » Ainsi se formait peu à peu, au contact des hommes publics qu’il avait plaisir à faire parler sur les affaires auxquelles ils avaient pris part, et sans qu’il reniât jamais aucune de ses premières convictions de jeunesse, l’esprit de cet écrivain, dont M. Laboulaye a pu dire avec raison « qu’à chaque nouvel ouvrage, il avait rompu avec un préjugé d’enfance ou d’école. »


II

Tant de libertés prises la plume à la main, un si complet affranchissement des mots d’ordre généralement reçus autour de lui, une telle désinvolture dans les jugemens portés sur les événemens passés, sur la conduite actuelle des chefs de tous les partis, et particulièrement des hommes les plus considérables de son propre camp, n’étaient pas pour créer beaucoup d’amis à Lanfrey. Ses conversations ne rachetaient rien. Son attitude dans le commerce habituel de la vie, froide, correcte et polie, n’encourageait pas