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Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/881

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des communes. La même assignation lui a été signifiée plusieurs jours consécutifs à son entrée dans la salle des séances. Quand les vacances des cours de justice auront pris fin, on saura si ces assignations étaient dues à une surexcitation passagère des passions religieuses ou si leurs auteurs entendent réellement y donner suite.

Presque tout le temps de la chambre des communes avait été absorbé par ces longs et orageux débats qui avaient à peine laissé place à l’expédition des affaires courantes. Dans l’intervalle, cependant, s’était produit un incident qui aurait à peine occupé la chambre si le premier ministre n’avait cédé encore une fois aux entraînemens d’un caractère trop irritable. M. Challemel-Lacour venait d’être appelé à l’ambassade de Londres en remplacement de M. Léon Say. Un député irlandais, M. O’Donnell, en prit occasion pour attaquer très vivement le passé et les opinions religieuses et politiques du nouvel ambassadeur. Il n’y avait qu’une seule réponse à faire à l’interpellateur : c’était de lui rappeler qu’il n’appartient pas à la chambre des communes de critiquer les choix d’un gouvernement étranger. Le sous-secrétaire d’état aux affaires étrangères préféra opposer aux allégations de l’orateur un démenti sec et brutal. M. O’Donnell se piqua ; il revint à la charge deux jours plus tard, dans un discours encore plus violent que le premier, renouvelant toutes ses allégations et les appuyant de nombreux extraits des journaux français hostiles à l’ambassadeur. Rien ne pouvait causer au cabinet anglais une contrariété plus grande que de soulever une semblable discussion à ce moment. Il avait, en effet, besoin du concours du gouvernement français pour faire prévaloir ses propres vues au sein de la conférence de Berlin ; il s’était mis d’accord, à cet effet, avec les influences qui dominaient la politique française, et la nomination de M. Challemel-Lacour, déterminée par les relations personnelles de l’ambassadeur, avait été la conséquence de cet accord qu’elle avait pour objet de cimenter. M. O’Donnell fut donc fréquemment interrompu par les membres du gouvernement, qui firent à plusieurs reprises appel au président. Celui-ci répondit que le discours de M. O’Donnell pouvait être un abus du droit de discussion, mais que, pour être inopportun et contraire à la courtoisie internationale, il ne constituait pas une infraction au règlement. A chaque interruption, M. O’Donnell redoublait de violence. M. Gladstone, ne pouvant plus se maîtriser, se leva et proposa que la parole fût retirée à l’orateur. Ce fut comme un coup de théâtre. Jamais, depuis que les communes avaient conquis le droit de discuter les affaires publiques, un membre ne s’était vu retirer la parole par un vote de la chambre en dehors d’une infraction au règlement. Si on laissait établir un pareil précédent, il pourrait être tourné tour à tour contre tous les partis, et la