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l’irritation porte ses effets sur la cellule ou sur l’extrémité terminale opposée des fibres excitées : de là la production, ici, de mouvement, là, de sensations ou d’hyperidéation. Ce mode d’interprétation ne change rien aux résultats acquis et ne supprime en rien les centres : aussi peut-on s’y rallier sans crainte ; il a l’avantage de ne pas exiger un postulatum embarrassant.

Que l’on hésite entre l’interprétation de Ferrier ou celle de Vulpian, à laquelle Ferrier paraît d’ailleurs très disposé à se rallier, cela importe relativement peu : l’un et l’autre ont leurs partisans et leurs argumens à l’appui. Ce qu’il faut retenir de ceci, c’est que le cerveau, chez les animaux supérieurs et l’homme, diffère de celui des animaux inférieurs, en ce qu’à mesure que l’on remonte l’échelle animale, on observe un développement de plus en plus considérable des circonvolutions cérébrales ; c’est que les circonvolutions représentent des organes de perfectionnement coétendus avec la volonté, l’initiative, l’intelligence ; c’est enfin que, chez les animaux élevés les centres représentent le point de départ et le point d’arrivée, le quartier-général de tout acte psychique.

Goltz a fait une curieuse expérience qui fait nettement ressortir le rôle des centres. Il prit deux chiens de même espèce dont l’un possédait l’éducation commune à tout chien, et l’autre quelques talens de société supplémentaires, ’entre autres, celui de donner la patte. Il enleva à tous deux le centre de la patte de devant d’un seul côté, — chez le chien savant, celui qui correspondait à la patte qu’il donnait. Au bout de quelque temps, ils guérirent tous deux et couraient fort bien : la course est un acte réflexe qui ne nécessite pas l’intervention des centres. Seulement le chien savant, qui se servait sans difficulté de son membre pour aller et venir, ne pouvait plus donner la patte : cet acte constituait un acte volontaire, supérieur, qui ne pouvait plus s’exécuter en l’absence du centre correspondant. C’est dans cette différenciation des organes de l’activité volontaire et de l’activité automatique qu’il convient de chercher l’explication de tant de faits singuliers, qui paraissent en contradiction avec la théorie des localisations et qui, pour nous, semblent bien au contraire lui être favorables.

Qu’il y ait encore à faire dans ce domaine, cela est indéniable ; mais les résultats obtenus par Ferrier sont si encourageans que nous souhaitons que la voie nouvelle où s’engage l’étude de la physiologie cérébrale soit suivie et explorée avec plus de soin que jamais.


Henry de Varigny.