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judiciaire étendue, est assez complexe. La première question à résoudre est celle de la législation. Comment restituer au gouvernement égyptien l’autorité législative, le droit de faire des lois, sans compromettre les privilèges que les étrangers ont acquis depuis quatre ans et dont ils ne consentiront pas à se départir ? Comment laisser une part légitime aux gouvernemens dans la confection de ces lois, tout en mettant un terme à l’abus criant qui place l’Égypte sous la tutelle des puissances les plus infimes, et permet à des états qui ont manqué les premiers à leurs engagemens financiers de lui imposer le respect de promesses devenues manifestement irréalisables ? Comment surtout organiser cette sorte d’intervention de manière à éviter qu’un seul gouvernement, et presque toujours le moins important de tous, puisse s’opposer à des mesures législatives adoptées par les autres, à des mesures qui ne touchent en rien à ses intérêts personnels et sur lesquelles en bonne justice il ne devrait même pas avoir à donner une opinion platonique ? On a souvent parlé de créer au Caire une sorte de conseil d’état international, ou du moins contenant une forte minorité d’étrangers, qui aurait entre autres fonctions celles de préparer et de sanctionner les lois. Dans les derniers mois de son règne, Ismaïl-Pacha avait même décrété la création de ce conseil. En réalité, une institution de ce genre aurait beaucoup plus d’inconvéniens que d’avantages. De deux choses l’une : ou les membres étrangers du conseil seraient nommés par le gouvernement égyptien, et on pourrait alors avoir quelques doutes sur leur indépendance, ou ils seraient désignés par leurs gouvernemens respectifs, et l’on pourrait craindre alors de les voir porter dans l’accomplissement de leur mandat de fâcheuses préoccupations politiques. Il ne faut pas oublier que l’Égypte souffre en ce moment d’une maladie qu’on aurait le droit de désigner sous le nom d’internationalité. Objet d’innombrables compétitions, elle est tiraillée dans tous les sens par des puissances qui ne songent qu’à étendre sur elle leur influence individuelle, non à garantir ses intérêts personnels en lui assurant les bénéfices d’une bonne administration, d’une justice équitable, de finances bien équilibrées. Certaines de ces puissances seraient même désolées qu’elle réorganisât ses forces et rétablît son prestige, car il faudrait renoncer ensuite à l’exploiter ou à l’asservir. Toute institution qui donnerait une force permanente à l’internationalité, qui permettrait à l’ensemble des puissances de se mêler sans cesse des affaires égyptiennes, aurait donc pour résultat une anarchie politique dont l’issue fatale serait la révolution et la conquête. C’est contre ce danger qu’il faut se prémunir coûte que coûte, en laissant l’Égypte sous la tutelle exclusive des deux grandes nations qui ont