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donnaient les divisions des vainqueurs, le roi ne se défendait pas d’une satisfaction ironique en voyant la coalition se dévorer elle-même, se consumer dans l’impuissance ; en ayant l’air de négocier avec elle, avec ses chefs, il l’aidait à se dissoudre, il reprenait sa supériorité, et avec une apparence de détachement qui ne facilitait rien, il disait à un des prétendans au pouvoir : « Je suis prêt à tout, j’accepterai tout, je subirai tout ; mais dans l’intérêt général dont je suis le gardien, je dois vous avertir qu’il est fort différent de traiter le roi en vaincu ou de lui faire de bonnes conditions. Vous pouvez m’imposer un ministère ou m’en donner un auquel je me rallie. Dans le premier cas, je ne trahirai pas mon cabinet, mais je vous préviens que je ne me regarderai pas comme engagé envers lui ; dans le second cas, je le servirai franchement. » Pendant deux mois, sous le regard d’un prince sceptique, à travers toutes les incertitudes, les essais se succédaient, les impossibilités se multipliaient, lorsque tout à coup l’émeute éclatant dans Paris, à la faveur de cet interrègne, faisait ce que dix semaines de négociations n’avaient pu faire. Aux Tuileries même, où tout le monde accourait aux premiers bruits de l’insurrection, un ministère naissait presque instantanément par l’intervention du maréchal Soult appelant à lui quelques hommes du centre droit et du centre gauche, M. Duchâtel, M. Villemain, avec M. Passy et M. Dufaure. On se réunissait en toute hâte sous la présidence du maréchal transformé d’une manière un peu imprévue en ministre des affaires étrangères. C’est ce qui s’est appelé dans l’histoire parlementaire du temps le ministère du 12 mai 1839.

C’était, à dire vrai, moins une solution qu’une combinaison de circonstance, un expédient improvisé devant le péril, une trêve conseillée par une nécessité soudaine. Ce n’est point assurément que ce cabinet ne fût un pouvoir sérieux avec le maréchal Soult, qui avait son passé militaire et qui venait de recevoir un accueil presque triomphal en Angleterre au couronnement de la jeune reine Victoria, avec des hommes comme M. Duchâtel, M. Villemain, M. Dufaure, qui commençait alors une carrière marquée depuis par une invariable fidélité au libéralisme et à l’honneur. Le ministère du 12 mai avait le mérite d’entrer aux affaires avec un certain courage, sous une inspiration de patriotisme et d’y porter autant de bonne volonté que de lumière. Il avait de plus l’avantage de n’être pour personne une victoire trop apparente ou une défaite trop sensible. Il avait aussi malgré tout cet inconvénient d’être l’expression vivante d’un fractionnement de plus dans les opinions, d’exister, non plus comme M. Molé, — d’une autre manière si l’on veut, — en dehors des grandes influences parlementaires. Le roi, assez porté à s’accommoder d’un dénoûment où il voyait, sinon son propre