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gouvernement ne peut avoir qu’un prestige, c’est de réaliser dans sa vérité le gouvernement représentatif que la France poursuit depuis cinquante ans, et quand je parle de la vérité du gouvernement représentatif, je dois être compris de MM. les ministres, — car c’est le langage que nous avons parlé ensemble dans l’opposition.


Le trait était vif, et les ministres ne le relevaient pas. M. Thiers, en parlant ainsi, sous l’impression d’un incident qui n’était pas le seul, savait bien qu’il pouvait déplaire. Il croyait agir utilement pour l’intégrité des institutions, pour la sûreté de la monarchie elle-même ; il pensait servir fidèlement un régime qu’il aimait en lui signalant un péril aussi bien qu’en lui proposant quelques réformes bien modestes comme celles des « incompatibilités » entre la députation et les fonctions rétribuées, et lorsqu’on lui disait qu’il s’exposait à se rendre impossible avec ses vivacités, en demandant des réformes qui ne viendraient que plus tard, il répliquait avec fierté : « Eh bien ! soit. Je me rappelle en ce moment le langage d’un écrivain allemand qui, faisant allusion aux opinions destinées à triompher tard, a dit les belles paroles que je vous demande la permission de citer : Je placerai, disait-il, mon vaisseau sur le promontoire le plus élevé du rivage et j’attendrai que la mer soit assez haute pour le faire flotter ! — Il est vrai qu’en soutenant ces opinions, je place mon vaisseau bien haut ; mais je ne crois pas l’avoir placé dans une position inaccessible… » Il parlait ainsi le 17 mars 1846 ! Entre M. Guizot et M. Thiers, la différence était profonde, plus profonde peut-être que ne le laisseraient croire d’anciennes alliances au pouvoir ou dans l’opposition ; elle tenait à l’éducation, aux idées, à la nature des deux esprits, à la manière d’interpréter la révolution de juillet, je dirai même la révolution française tout entière. M. Thiers, sans être un révolutionnaire au gouvernement, suivait sa nature en soutenant une politique intérieure moins absolue, plus ouverte aux transactions, plus conciliable avec un progrès gradué. Ge que M. Guizot considérait comme un péril, M. Thiers le regardait comme une conséquence légitime de cette révolution de juillet dont il aimait à se dire le fils ; mais c’est surtout dans la politique extérieure qu’il poursuivait pied à pied de son opposition le système du 29 octobre, et ici il se portait au combat, un peu sans doute avec l’amertume de l’homme vaincu ou blessé en 1840, mais aussi avec la supériorité d’un esprit familiarisé par l’étude, par l’expérience avec tous les intérêts français et européens.

La politique extérieure que M. Thiers représentait, qu’il soutenait en toute occasion avec la vivacité de nature que Dieu, lui avait donnée, comme il l’a dit si souvent, cette politique n’était point la guerre pour la guerre. Assurément, M. Thiers n’était pas