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montagne, il promit la défaite des perturbateurs ennemis de l’ordre et de la société. Dans chaque compagnie, il y eut des magistrats qui répondirent à son appel et qui se déclarèrent prêts à obéir à tous les ordres. L’histoire ne parle pas de ceux qui refusèrent ces consignes de la dictature.

Dans chaque département, alors que depuis plusieurs semaines le calme était rétabli, au commencement de février, un général, un préfet, un magistrat furent convoqués pour désigner ceux que la déportation devait atteindre. Pendant tout l’hiver de 1851 à 1852, on vit se poursuivre cette œuvre d’arbitraire qui devait déshonorer le nom des commissions mixtes. On a eu tort de croire que l’ambition avait seule poussé les magistrats ; ils cédaient autant à la terreur de l’anarchie qu’à leur désir de plaire ; mais ils oubliaient, dans cette œuvre extra-légale qu’aucun code ne prescrivait et qu’aucun plébiscite ne pouvait justifier, le caractère indélébile que revêt tout serviteur du droit ; ils abdiquaient leur mission de juges, supérieure à tous les pouvoirs qui passent, pour se faire les dociles instrumens de la politique. C’est ce que les vrais magistrats ne leur ont jamais pardonné.

La constitution de 1852, en ne parlant ni des juridictions, ni des magistrats, laissait subsister le principe de l’inamovibilité ; mais en même temps, au fond des provinces, les commissions mixtes proscrivaient des juges et condamnaient à la transportai on des magistrats en déclarant « que l’inamovibilité ne saurait être un refuge. » — Plusieurs furent ainsi chassés de leurs sièges sans que le pouvoir nouveau osât les déférer à la cour de cassation, où un débat contradictoire aurait leur conduite mis au grand jour.

Quel fut le nombre des individus jugés par cette juridiction improvisée ? Dix-neuf ans plus tard, le hasard d’une révolution révéla que 26,000 individus avaient été traduits devant les commissions mixtes, et que sur ce nombre, 14,000 condamnations avaient été prononcées sur des notes informes, sur des rapports de police, sans que les condamnés vissent leurs juges, sans qu’il leur fût permis de présenter une défense, sans qu’une seule des formalités prescrites par nos codes fût observée ; sans que ces commissions politiques eussent l’air de se douter qu’il existait des lois.

Le pouvoir issu du coup d’état n’échappait pas aux conditions inséparables des gouvernemens nouveaux : il lui fallait satisfaire ses amis, et ceux-ci le pressaient de profiter de la période dictatoriale pour prendre à l’égard des corps judiciaires des mesures qui, sous l’apparence de l’intérêt public, pussent donner ample satisfaction aux ambitions individuelles. La mise à la retraite des magistrats était de tous les moyens le plus habile : depuis plusieurs