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années la question était débattue ; on se souvenait des projets qui la fixaient à soixante-dix ans ; on semblait réaliser une pensée déjà ancienne, et d’un trait de plume on rendait vacantes les plus hautes fonctions, au grand profit de ceux dont on voulait récompenser les services. Le 1er mars 1852, un décret fixait la mise à la retraite des membres de la cour de cassation à l’âge de soixante-quinze ans et celle des magistrats des autres juridictions à soixante-dix ans. Le rapport du garde des sceaux démontrait à grand renfort d’argumens que le principe de l’inamovibilité n’était pas atteint par une telle mesure : il lui aurait été difficile d’établir que le membre d’une cour d’appel, approchant de la limite d’âge, n’était pas menacé dans son indépendance et atteint dans sa réputation d’impartialité par la perspective d’une retraite fatale que le bon plaisir du ministre et une nomination à la cour suprême pouvaient changer en un sursis de cinq années. Il n’y eut qu’une voix dans la magistrature pour protester contre les retraites forcées aussi aveugles dans leurs effets qu’injustes dans leur application, différentes suivant qu’elles atteignaient la cour suprême ou les autres juridictions. Mais le but était atteint : la stabilité de la magistrature était diminuée, les nominations et les faveurs plus nombreuses, le renouvellement du personnel issu du gouvernement de Louis-Philippe plus rapide. La magistrature comprit bien vite les conséquences du décret auquel elle était soumise. Quelques années plus tard, une pétition en signalait les dangers au sénat, et le rapporteur, le comte de Casablanca, tout en soutenant que l’inamovibilité n’avait pas été directement violée, était forcé de reconnaître que les mœurs judiciaires avaient été altérées, que la mobilité du magistrat avait diminué son autorité et menacé la jurisprudence, qu’on ne voyait plus le magistrat se fixer et vieillir dans des sièges qu’il ne songeait à abandonner qu’avec la vie. Tant de griefs révélaient, après dix ans d’expérience, la gravité de la situation : la pétition fut renvoyée au ministre, qui nomma une commission dont nul ne put jamais connaître le travail ni les conclusions. Mais le mal subsistait : la magistrature gémissait en silence et elle était heureuse de s’associer à toutes les protestations. Elle lisait avec entraînement l’éloquent écrit d’un ancien garde des sceaux, dénonçant a cette œuvre funeste, aveugle comme une date, inflexible comme un châtiment, épargnant les infirmités qui n’ont pas l’âge, frappant l’âge qui n’a pas d’infirmités. » — « Il allait, disait M. Sauzet, une loi contre les infirmités, on a fait une loi contre la vieillesse, » et il montrait les démentis donnés de toutes parts à la loi par des magistrats honoraires dont on allait consulter les lumières et par le procureur-général à la cour de cassation dont on conservait les services. Les vieillards n’étaient pas