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le renvoi de Turgot, dont quelques-uns des plans étaient mal compris et peu populaires, la disgrâce subite et inexpliquée de M. Necker fut une de ces fautes qui commencèrent d’aliéner à Louis XVI la faveur de l’opinion publique. Les témoignages de la sympathie qui éclata en faveur de M. Necker furent si nombreux et si unanimes que Mme Necker put, quelques années plus tard, écrire sans aucune exagération sur la volumineuse liasse où sont rassemblés ces témoignages :


L’effet que produisit la retraite de M. Necker fut si extraordinaire qu’il nous étonna nous-mêmes, malgré le sentiment que nous avions de notre amour pour le bien public, de nos efforts et même de nos succès. Résignés à l’ingratitude des hommes et affectés de l’injustice dont nous étions la victime, nous négligeâmes d’abord de conserver les lettres que nous receumes ; enfin nous fûmes frappés de leur multitude et nous résolûmes de garder ce monument d’estime, mais ce ne fut qu’après avoir brûlé une si grande quantité de ces lettres que ce qui nous en reste ne peut donner qu’une bien faible idée des marques d’affection que M. Necker a reçues.


Ce monument d’estime ne formerait pas en effet, si toutes les lettres étaient publiées, moins d’un gros volume. Dans le nombre, je n’en choisirai qu’une et ce qui me détermine dans ce choix, c’est précisément l’obscurité même de celui qui écrivait à M. Necker, dans les termes qu’on va lire :


Metz, 29 mai 1781.
Monsieur,

Me permettrez-vous de vous dire et de vous témoigner la grande douleur dont j’ai été pénétré lorsque j’ai appris que vous n’occupiez plus la place que vous avez si dignement rempile depuis quelque temps pour le bonheur de la France ? Non, il n’est pas possible que je contienne plus longtemps mon affliction ; il faut que mon cœur s’épanche et il ne seroit qu’imparfaitement soulagé s’il ne s’épanchoit dans votre sein. Ayez pour agréables les larmes qui m’ont échappées lorsque, pendant la nuit, le défaut de sommeil me permettant de donner un libre essor à mes réflexions, j’ai médité sur la perte que fait la France. Il n’y a que la nouvelle de la mort d’un père âgé et respectable que j’aime de tout mon cœur, qui puisse entrer en comparaison avec la sensation que m’a fait celle de votre remerciement. Je sais que ce fut sans brigues que vous obtîntes cette charge importante. Le seul mérite vous y plaça ;