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vous y avez fait tout le bien qu’il était possible de faire ; vous vous proposiez d’en faire beaucoup davantage dans la suite et lorsque nous vous élevions déjà des autels dans nos cœurs, tout à coup vous remerciez ! Quelle perte pour l’état ! Quel sujet de chagrin pour tous les bons citoyens ! Encore une fois, monsieur, permettez-moi de vous dire que cette nouvelle a été pour moi un coup accablant. Elle l’a été de même pour tous ceux qui désirent sincèrement le bien. Je ne suis que leur écho.

Je suis avec un très profond respect, un respect que je ne puis assez exprimer, monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Jacob,
Chanoine régulier au collège de Saint-Louis.


Inutile de transcrire ici les lamentations des Marmontel et autres. Il était cependant parmi les amis de M. et de Mme Necker quelqu’un qui se refusait à plaindre le ministre disgracié : c’était Gibbon. Mais la raison qu’il donnait ne pouvait blesser ni le mari ni la femme : « Le sort de votre mari, écrivait-il à Mme Necker, est toujours digne d’envie ; il se connoît, ses ennemis l’estiment, l’Europe l’admire et vous l’aimez ! »

Que serait-il advenu si M. Necker fût demeuré en possession de la confiance de Louis XVI, et si le temps nécessaire lui eût été laissé pour mener à bien ses vastes projets de réforme politique et financière ? Il est toujours facile de refaire l’histoire après coup, et de dire avec assurance ce qui se serait passé si tel ou tel événement n’avait pas eu lieu. Les ennemis de M. Necker ont eu beau jeu pour prétendre que ce sont ses concessions imprudentes qui ont amené la révolution française. Il ne serait pas moins facile de soutenir qu’il l’aurait prévenue s’il n’avait pas été sacrifié sans motifs à des rancunes mesquines. Mais ce qu’on peut dire avec certitude, c’est que la situation de la monarchie eût été meilleure si le déficit financier ne l’eût mise à la merci des états-généraux et que M. Necker eût sauvé la monarchie du déficit. Malouet, dans ses Mémoires, émet un jugement plus favorable encore à M. Necker, et l’on me permettra de rapporter ici sans la discuter l’opinion du seul homme peut-être qui ait traversé cette époque redoutable sans qu’on puisse lui reprocher ni une illusion ni une faiblesse : « Quoi qu’on en puisse dire, c’est de la retraite de M. Necker en 1781 et de l’impéritie de ses successeurs que datent les désordres qui nous ont conduits aux états-généraux. »

Othenin d’Haussonville.