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d’immanent et d’essentiel d’avec ce qu’elle emprunte à la nature physique.

Mais ce profond esprit n’a pas arrêté là encore son analyse expérimentale. Il ne lui suffit pas d’avoir mis en présence la substance vivante partout identique et l’anesthésique toujours agressif vis-à-vis d’elle, il veut encore savoir de quelle nature est le conflit. La matière première de tous les élémens de l’organisme, le protoplasme, est semi-fluide : l’expérience apprend que l’éther et le chloroforme le coagulent, et cette altération moléculaire devient la raison suffisante de son inactivité passagère. Ajoutons que les graisses phosphorées que contient toujours le protoplasme sont solubles dans les liquides anesthésians. Et maintenant, arrêtons-nous. Il n’y a plus d’explication au-delà. Nous savons que l’anesthésique agit sur la matière première, dans laquelle sont taillées, sous des figures différentes, toutes les parties organiques ; par là nous comprenons l’universalité d’une action qui ne s’arrête pas à la limite des règnes et qui ne respecte pas les barrières fragiles que nos prédécesseurs avaient dressées entre la vie animale et la vie végétative. L’anesthésique agit sur cette substance commune en la désorganisant mécaniquement, et par là se trouvent interrompus tous les modes d’activité qu’elle est capable de manifester. C’est affaire à la physiologie de nous apprendre quels sont ces modes d’activité véritablement caractéristiques de la vie. Ce n’est pas le lieu de rappeler ces notions de la biologie générale, bien qu’elles se rattachent intimement à la théorie des anesthésiques. Qu’il suffise de savoir que toutes les fonctions d’ordre vital sont tributaires du chloroforme et de l’éther, que toutes peuvent s’endormir sous leur influence.

Ce principe contient l’explication de l’anesthésie appliquée à l’homme. L’action chirurgicale des anesthésiques n’est qu’un cas particulier de cette action générale sur le protoplasme vivant : elle en est le premier degré. Ce que nous venons de dire permet déjà de comprendre combien étaient étroites et superficielles les vues de Flourens et de Longet, lorsqu’ils déclaraient, en 1847, que l’éther et le chloroforme exercent une action élective sur le système nerveux central. L’action des anesthésiques est universelle ; elle s’exerce sur toutes les parcelles de l’organisme et non pas sur telle ou telle à l’exclusion des autres. Mais cette action universelle est successive : elle est classée. Que dans une même enceinte l’on expose aux vapeurs d’éther des êtres placés à différens échelons de la hiérarchie naturelle, un oiseau, une souris, une grenouille et une sensitive : au bout de quatre minutes, l’oiseau, dont l’organisation est plus délicate et la vitalité plus grande, chancelle et tombe insensible. C’est ensuite le tour de la souris : après dix minutes, elle ne donne