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la pesanteur et la bassesse d’une nature laissée à elle-même, il ne sent rien au-dessus de ce qu’il est ; né dans les sens et dans la boue, il s’élève difficilement au-dessus de lui-même. » Quels mots ! ô Massillon ! dans la bouche d’un prêtre du Dieu qui naquit dans une crèche ! Sans doute, c’est ici que Voltaire, en vous lisant, tressaillait d’aise ! Car a-t-il parlé nulle part de la « canaille » en termes plus méprisans ? ou nulle part a-t-il parlé des grands comme vous l’ailez faire ? « Une haute naissance nous prépare, pour ainsi dire, aux sentimens nobles et héroïques qu’exige la foi ; un sang plus pur s’élève plus aisément ; il en doit moins coûter de vaincre leurs passions à ceux qui sont nés pour remporter des victoires[1]. » Vous tombiez tout à l’heure dans l’exagération de la menace, vous tombez dans l’exagération de la flatterie, maintenant, et nous voilà déjà bien loin, en deux pas, du sermon sur le Mauvais Riche.

On trouvera peut-être plus curieux de voir la rigidité de Massillon fléchir dans un autre sens encore et ses imprudences prendre un autre cours dans ce joli Panégyrique de sainte Madeleine, si joli, c’est-à-dire d’un style si mondain, si profane, que Voltaire, Voltaire lui-même, en a rougi pour Massillon ! Massillon, encore ici, construit son sermon comme le sermon sur le mauvais riche. Il prend son texte : Mulier erat in civitate peccatrix : et le développe par l’énumération de toutes les circonstances que l’Évangile s’est abstenu de spécifier. Une pécheresse ! voilà l’idée qu’il va, pour ainsi dire, vider de tout ce qu’elle peut contenir. Il parcourt donc de point en point l’histoire de Madeleine telle à peu près, il faut bien le dire, qu’il lui plaît de la composer. Ici, ce sont les aventures de « ce cœur facile que blessaient les premières impressions ; » ailleurs, c’est l’anatomie de « ce cœur habile et ingénieux à trouver les moyens pour arriver à sa fin ; » plus loin, c’est la peinture de « ce cœur ardent où les passions ne savaient pas même garder de mesure. » Et tandis que tous les autres prédicateurs s’efforcent d’ôter à Madeleine le vivant caractère d’une figure historique pour la réduire, dès le début du discours, à n’être que le modèle, et le symbole, ou même l’allégorie de la pénitence, lui s’efforce, au contraire, de préciser les traits, d’animer la personne, de lui donner une voix, un corps et des sens. On n’est pas plus imprudent, à meilleure intention. Là-dessus je ne sais quel auteur de l’un de ces grossiers et honteux romans qui couraient au XVIIIe siècle, — il devait sortir de l’officine holbachienne, — s’avisa d’alléguer pour justification de ses impiétés un passage de ce panégyrique. C’est alors que Voltaire prit la défense de Massillon : « J’ai

  1. Sur le respect que les grands doivent à la religion.