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Libre de quitter le Rio-Grande, le commandant Cloué se rendit alors au désir du maréchal, que les nouvelles d’un prochain débarquement de Santa-Anna, ou de ses partisans, à la côte de Sota-Vento, avaient inquiété. Il laissait en partant la Tisiphone devant Matamoros et adressait au commandant Collet les instructions les plus précises pour la conduite qu’il avait à tenir. Il devait procéder sans retard au désarmement des petits vapeurs l’Antonia, la Camargo et l’Alamo. Puisqu’il n’y avait plus urgence à leur séjour à terre, il fallait que les officiers et les équipages rejoignissent leurs bords. On pouvait fournir de la poudre, des cartouches et des boulets au général Mejia, mais aucune arme qui nous appartînt. Quant aux Américains, il fallait observer avec eux la plus grande réserve et ne point s’occuper des affaires intérieures puisqu’il y avait des autorités mexicaines, et surtout ne point servir à celles-ci ou au général Mejia d’intermédiaire officieux avec les chefs des troupes des États-Unis. Ces instructions étaient en un mot la circonspection la plus grande et la plus stricte prudence au point de vue politique et militaire.

L’année 1865 finissait. Pendant toute sa durée, notre fortune au Mexique avait oscillé entre des succès et des échecs, sauvegardée par momens par des conseils loyaux et des influences d’honnêteté et de bon sens qui ne pouvaient avoir malheureusement qu’une action limitée, arrêtée et compromise par les visées d’une ambition secrète que la plus brillante réussite eût seulement absoute. Nous avions en apparence maintenu notre situation, mais au fond elle croulait de toutes parts et allait être emportée par la force des choses. L’administration était inerte ou corrompue. La population moyenne, bien disposée pour l’empire, qui lui eût apporté l’ordre, mais craintive et découragée, n’offrait qu’un vain et passif appui ; les libéraux, fiers de n’avoir point succombé, s’enflaient des complaisances qu’on avait eues pour eux et des forces qu’ils avaient gagnées. L’Amérique hostile et menaçante avait toutes prêtes contre nous ses flottes de monitors et ses bandes licenciées d’aventuriers et de flibustiers, si elle n’était désarmée à Paris par un arrangement qui conciliât ses prétentions et les nôtres. L’heure était passée du règne possible de Maximilien, d’une élection, sinon d’une intrigue nationale élevant un souverain nouveau, de la non-intervention, à laquelle des déchiremens intérieurs avaient jusqu’alors contraint les États-Unis : il n’y avait plus à sonner que l’heure de notre retraite et de la dissolution de l’empire.


HENRI RIVIERE.