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Les nominations faites par le président en dehors des influences politiques, tel était, on le voit, le principal, pour ne pas dire l’unique grief des mécontens du sénat. Rien ne montre mieux quelle distance sépare la théorie de la pratique et avec quelle facilité merveilleuse les partis oublient et les promesses qu’ils ont faites et les reproches qu’ils ont adressés à leurs adversaires. En 1876, pendant la lutte pour la présidence, aucune question ne semblait tenir plus de place dans les préoccupations de l’opinion publique que la réforme des services publics. La nécessité de cette réforme formait le plus beau morceau du programme de M. Tilden ; mais M. Hayes n’avait pas été moins éloquent sur ce chapitre. De l’aveu des deux concurrens, la politique avait envahi et corrompu toutes les administrations : les fonctionnaires n’étaient plus nommés pour leur mérite, mais pour leurs opinions et leurs relations ; ce n’était plus par le travail et la bonne conduite, c’était par les services électoraux que l’avancement s’obtenait. Les deux concurrens avaient promis à l’envi de couper le mal à la racine en n’ayant plus égard pour les nominations aux recommandations politiques et en tenant la main à ce que les fonctionnaires demeurassent désormais en dehors des luttes électorales. C’étaient les efforts honorables tentés par M. Hayes pour tenir cette promesse qui soulevaient contre lui le mécontentement de son parti.

Nommés pour deux années seulement à l’élection directe, soumis à toutes les variations du suffrage universel et confinés par la constitution dans des attributions bien définies, les représentans ne pèsent pas d’un grand poids dans la balance politique, et leur hostilité ne pouvait avoir de graves conséquences pour le président ; il n’en était pas de même des sénateurs, sous le contrôle desquels tombent tous les détails de l’administration. Élus pour six années par les législatures locales et à raison de deux seulement par état, les sénateurs sont de tout autres personnages que les représentans. Il leur faut, pour arriver au congrès, des relations étendues, une influence sérieuse et une grande notoriété. Aussi les sénateurs sont-ils, dans chaque état, les chefs naturels du parti qui les a nommés ; ce sont eux qui donnent l’impulsion, qui provoquent les candidatures, qui préparent et dirigent les élections de tous les degrés. Le sénateur qui avait contribué de son influence, de sa parole et souvent de sa bourse à l’élection d’un président, se croyait un droit imprescriptible à réclamer pour ses protégés tous les emplois fédéraux qui venaient à vaquer dans son état. Il remplissait ainsi les services publics de ses créatures : les fonctionnaires qui lui devaient leur nomination et qui attendaient de lui leur avancement devenaient entre ses mains des agens électoraux dévoués, se mettaient en avant pour faire partie des comités et des