aboutir s’il était conséquent : M. de Hartmann s’efforce cependant d’en déduire l’utilitarisme désintéressé, « l’eudémonisme universel, » qu’il veut concilier avec la morale de l’évolution. Selon nous, il échoue encore mieux que tous les utilitaires anglais dans ce passage difficile de l’égoïsme à l’altruisme, sorte de Rubicon pour les systèmes de morale. M. de Hartmann se fait lui-même cette objection fort sensée : — Si le bonheur de chaque individu en particulier est une utopie, n’est-il pas tout aussi absurde de travailler au bonheur de mon prochain qu’à mon bonheur propre? — Non, répond-il; il ne dépend pas de moi que mes semblables vivent ou ne vivent pas; je dois donc accepter leur existence comme un fait auquel je ne puis rien changer ; dès lors « il est raisonnable d’essayer de leur procurer au moins un état préférable à leur condition actuelle.» — Nous répondrons à notre tour qu’il dépend parfois de nous d’empêcher l’existence des autres et que de plus, s’il est raisonnable de leur procurer une condition meilleure, il est encore plus raisonnable de nous la procurer à nous-mêmes. Je ne vois pas pourquoi le bonheur cesserait d’être chimérique et prendrait du prix quand il s’agit d’ autrui, tandis qu’il resterait chimérique pour moi. Rationnellement, il n’importe pas que le plaisir soit celui de Pierre ou de Paul ; empiriquement, le plaisir de Pierre importe davantage a Pierre et celui de Paul à Paul. Conclusion : Pierre cherchera son plaisir et Paul le sien.
De même que M. de Hartmann ne peut passer de l’égoïsme a l’utilitarisme altruiste, admis par lui, il ne peut davantage concilier cette dernière doctrine avec la morale évolutionniste telle qu’il l’admet. C’est cependant là un nouveau problème qui vient s’ajouter aux précédens et dont M. de Hartmann déclare lui-même la solution nécessaire. Il pose d’abord en principe que la morale de l’utilité cherche le bonheur de l’universalité des hommes, et que la morale de l’évolution, au contraire, cherche le progrès social dans la sélection naturelle au profit d’une minorité. Il ajoute que l’utilitarisme et l’évolutionnisme ont cependant besoin d’être fondus dans une seule et même doctrine morale. Nous aussi, nous admettons volontiers la nécessité de cette conciliation ; mais M. de Hartmann se fait, à notre avis, une fausse idée des deux termes à concilier, ce qui va le mettre dans l’impossibilité finale d’en trouver le rapport et la synthèse.
Considérons d’abord la morale de l’utilité et du. bonheur, ou « l’eudémonisme universel, » dont la formule est la suivante : — Faire le plus de bien possible au plus grand nombre de personnes possible. — A en croire M. de Hartmann, cette morale aurait pour conséquence logique le socialisme égalitaire, le nivellement des fortunes