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à M. de Connway. » Il éprouva donc la plus vive surprise lorsque, parmi les personnes qui se rendirent près de lui dès son arrivée, il trouva M. de Borel, qu’il croyait bien loin de là. Celui-ci présenta ses compagnons, lui fit connaître les événemens de Mende et leur malheureux dénoûment. dont la portée s’aggravait de la défaite des royalistes d’Arles.

Découragé par ces nouvelles, le comte de Saillans songea d’abord à retourner à Coblentz pour y demander de nouveaux ordres. Il en fut détourné par l’abbé de la Bastide de la Molette. Avec plus de chaleur que de prudence, l’ancien vicaire-général de Mgr de Béthisy traça de l’état des esprits dans le Vivarais un tableau rassurant. A l’en croire, cette province comptait des milliers d’hommes enrégimentés, disciplinés, prêts à prendre les armes. Il ajouta qu’une somme de dix-neuf mille livres, destinée à faire face aux premiers frais de la campagne, était à la disposition du comte de Saillans chez un banquier de Turin, — ce qui était vrai, puisqu’à peu de jours de là celui-ci put se faire envoyer cet argent. Malheureusement toutes les affirmations de l’abbé de la Bastide de la Molette n’avaient pas la même exactitude. Elles contenaient une grande part d’erreurs et d’illusions. Ce petit homme vif, pétulant, bruyant et bavard, voyait les choses à travers son imagination, non comme elles étaient, mais telles qu’il les aurait voulues,

Le comte de Saillans, bien qu’il comprît qu’il serait périlleux de se trop hâter, se laissa cependant convaincre par ce langage. Il décida de se rendre sans retard dans le Vivarais, où il jugerait par lui-même de la possibilité d’agir. Ses officiers, arrivés vingt-quatre heures après lui, achevèrent de le décider, le chevalier de Melon surtout, jeune enthousiaste de vingt-quatre ans, animé d’une ardente foi dans le succès de la cause royale, brave, éloquent, brillant, persuasif, qui ne rêvait que de lauriers à moissonner et brûlait de vaincre ou de mourir. Le comte de Saillans était un soldat aux cheveux gris, possédant la maturité et l’expérience, mais, pour son malheur, susceptible, faible et mobile à l’excès. Il se laissa dominer, dès ce moment, par ce petit groupe de gentilshommes pour qui un coup d’épée semblait être le dernier mot de toutes choses.

Il quitta Chambéry après y avoir passé deux jours. Accompagné de MM. de Melon, de Portails, de Montfort et Dominique Allier, il partit pour Yenne, gros bourg à huit lieues environ de cette ville, où il comptait s’embarquer sur le Rhône, afin de gagner le Vivarais en passant par Lyon. Dans la crainte d’attirer l’attention sur ses compagnons et sur lui-même, il n’osa prendre la diligence.il les fit sortir successivement de Chambéry, et ils se rencontrèrent à quelque