Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/197

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

correspondant avec ses compagnons, qui lui écrivaient sous le couvert de M. de Montfort, resté à Chambéry, où sur ces entrefaites arriva le général de Connway. M. de Saillans se rendit auprès de lui et lui exposa les plans qu’il avait été amené à former. Mais il comprit, dès leur première entrevue, que le général ne les approuvait pas. Susceptible et vaniteux, il revint au Bourget blessé au vif, cessa toute visite à M. de Connway, l’accusa d’entraver son action sous l’empire d’une mesquine jalousie et lui fit part de ses griefs dans des lettres assez vives. Le comte de Connway le prit de haut; sans cesser de faire preuve d’une exquise courtoisie, il répondit en homme sûr de son droit et en chef qui veut être obéi. C’est à l’obligation où était son subordonné d’exécuter ses ordres qu’il le ramenait sans cesse, sans se préoccuper outre mesure de se défendre contre des reproches qu’après tout il ne méritait pas. Si sa prudence et ses hésitations exaspéraient le comte de Saillans, c’est qu’en réalité celui-ci ne supportait qu’impatiemment l’autorité placée au-dessus de la sienne. Leur correspondance devenait de plus en plus acrimonieuse, et il ne resta bientôt à M. de Connway d’autre ressource que celle d’écrire à Coblentz pour faire connaître au conseil des princes ce qui se passait. Mais avant même qu’il s’y fût décidé, il apprenait que M. de Saillans, de son côté, faisait partir pour la même destination un de ses officiers, M. de Portalis, porteur d’un mémoire justificatif de sa conduite, et que, profitant lui-même d’une occasion favorable, il était entré en France pour se diriger vers le Vivarais sans attendre de nouvelles instructions.

Ces dissentimens de mauvais augure pour la campagne qui commençait se prolongèrent pendant près d’un mois. Du fond du Vivarais, le comte de Saillans écrivait lettres sur lettres à M. de Portalis pour ranimer son zèle et hâter sa mission. Enfin une réponse lui arriva, signée « Louis-Stanislas-Xavier » et « Charles-Philippe, » bien différente de celle qu’il attendait. Par cette lettre, en date du 8 mai, les princes lui donnaient tort sur tous les points, lui reprochaient son insubordination et lui enjoignaient d’obéir à M. de Connway sous peine de perdre leur confiance. Pour mieux lui marquer leur mécontentement, ils l’avertissaient qu’ils retenaient M. de Portalis auprès d’eux. M. de Connway triomphait.

Ce fut l’âme ulcérée par ces incidens que le comte de Saillans s’installa dans le Vivarais, en déclarant, ce qu’il ne cessa de répéter jusqu’à la fin de cette triste campagne, que le général s’était laissé circonvenir par M. de Borel et les gens de Monde; il poussa la colère jusqu’à mettre en doute le patriotisme de ce vieux soldat, duquel il disait avec amertume : « Connway est Anglais, Saillans est Français ; le premier aime infiniment le gouvernement anglais.