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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/198

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le second le roi. » Accusation souverainement injuste, car M. de Connway n’était pas moins dévoué que M. de Saillans à la cause qu’ils servaient ensemble. Mais, connaissant mieux que lui les secrets de la cour de Coblentz, ses espérances et ses craintes, il jugeait mieux aussi la situation et l’opportunité des mesures à prendre.

En arrivant dans le département de l’Ardèche, le comte de Saillans y retrouva son compagnon Dominique Allier, qui l’attendait avec impatience et qui le conduisit dans la retraite où vivait caché son frère Claude Allier. Dès la première entrevue, l’ardeur confiante du curé de Chambonas, son énergie, sa jeunesse même, exercèrent sur M. de Saillans une influence décisive. Ce prêtre, militant comme un soldat, devint pour lui un confident digne de le comprendre, à qui il put dire librement ce qu’il pensait de MM. de Connway, de Borel et des autres. Claude Allier sut le flatter, se fit modeste et ne feignit une déférence quasi exagérée que pour le dominer plus sûrement, car il entendait que le chef choisi par les princes pour commander les royalistes de la contrée fût entre ses mains un instrument souple et docile. Pendant quelques jours, ils vécurent d’une vie commune. Claude Allier soumit au commandant en second de l’armée royale tous ses plans, son projet de marcher sur le Puy, tous ses moyens d’action ; il énuméra ses forces et conclut en affirmant, comme l’avait déjà fait à Chambéry l’abbé de la Bastide de la Molette, que vingt-cinq mille hommes n’attendaient qu’un signal pour se lever et combattre.

Sur ces entrefaites, le bouillant chanoine d’Uzès, qui tenait à se trouver là où il y avait des coups à donner et à recevoir, apparut dans le département, après avoir traversé, au risque d’être reconnu et arrêté, plusieurs villes françaises. Les officiers de M. de Saillans arrivèrent à leur tour, et l’abbé Claude Allier estima que c’était l’heure de présenter aux membres du comité de Jalès le chef qui venait se mettre à leur tête au nom des princes.

Presque tous décrétés d’accusation, ils vivaient cachés et dispersés dans le pays, protégés contre les patriotes et les rares garnisons que le gouvernement légal y entretenait, par la complicité des habitans. Claude Allier savait où les prendre. Il les convoqua pour le 19 mai à la Bastide, petit village du Gévaudan. Ils s’y trouvèrent au nombre de trente-cinq, réunis dans une chambre d’auberge, aux portes de laquelle veillaient quelques gardes nationaux dévoués. Le comte de Saillans, revêtu de son uniforme bleu, à boutons fleurdelisés, la cocarde blanche au chapeau, leur fut présenté par Claude Allier. Il exhiba ses pouvoirs, reçut leurs promesses de soumission et de fidélité. Puis ils rédigèrent, séance tenante, une