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Livre d’esquisses de Jacques Callot, dans la collection Albertine, à Vienne, publié par M. Moriz Thausing. — Vienne,1880, Mietke ; Paris, Didot.


Il n’y a guère d’artiste qui soit plus populaire en France que Jacques Callot. Ses qualités, en effet, sont essentiellement françaises, quoiqu’il soit né en Lorraine à une époque où ce pays avait encore une vie indépendante sous des souverains particuliers, et les sujets qu’il a traités avec tant d’esprit et de spontanéité sont de nature à piquer la curiosité et à se graver dans l’imagination. Qui ne se rappelle ces eaux-fortes représentant des scènes si variées, des personnages si nombreux, habilement groupés dans un espace restreint ? Malgré la petitesse des figures, tout y est d’une clarté parfaite. La justesse des mouvemens tient lieu d’expression. Il semble que l’on voie vivre et s’agiter les foules évoquées par l’artiste. La Foire de l’Impruneta et la Foire de Gondreville, les Supplices, la Fête sur l’Arno, le Passage de la mer Rouge, les Misères et malheurs de la guerre, les Sièges de La Rochelle et de Bréda, mettent merveilleusement en lumière ce qu’il y a d’animation et de finesse dans le talent de Callot. Quelle variété dans le choix des épisodes ! quelle sûreté d’observation ! quelle hardiesse dans le maniement de la pointe ! S’agit-il de figures isolées, Callot ne s’y montre pas observateur moins sagace, ainsi que le prouvent ses mendians et ses mendiantes, ses grands seigneurs et ses grandes dames, ses études de soldats. Mais peut-être a-t-il encore plus d’originalité quand il est aux prises avec les sujets compliqués.

Il eut d’ailleurs à son service un procédé dont l’invention lui appartient en propre. Pour graver à l’eau-forte, il substitua au vernis mou, en 1616 ou 1617, le vernis dur qu’employaient les luthiers de Florence et de Venise. Cette innovation lui permit de graver des figures infiniment petites et de leur donner une extrême légèreté, d’entreprendre en même temps plusieurs planches et d’exécuter des gravures immenses, telles que les Sièges de la Rochelle et de Bréda. Par la découverte de son procédé, comme par le tour particulier de ses conceptions, il occupe donc dans l’art une place à part.

Il ne faudrait pourtant pas le mettre trop haut. S’il convient de louer en général la fermeté de son style et la netteté de son faire, on ne doit pas oublier que ses œuvres sont très inégales et ses aspirations peu élevées. S’il excelle à traiter les sujets de genre et les épisodes dont se composent la vie ordinaire du peuple et l’existence des soldats en temps de guerre, il nous laisse froids dès qu’il aborde les sujets religieux, parce qu’il n’a su y trouver que des thèmes pittoresques. Le goût de la satire, de la caricature constitue aussi un des traits de son caractère comme de son talent. Loin de reculer devant les types vulgaires et devant les laideurs de l’humanité, il se complut, du moins pendant la première moitié de sa vie, à les reproduire sans merci.