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grand encore, le professeur passait sous silence les pages insignifiantes et. obscures où les mathématiques, dans ces fragmens, paraissent jouer un rôle. N’était-ce pas un acte de très mauvaise âme de s’efforcer par brigues et menées d’éteindre la mathématique qui est la première lumière des arts supérieurs? Ramus toujours impérieux et ne démordant pas, prétendait marquer l’ordre des leçons et en régler le détail, avec une autorité justement contestée à son titre de doyen et plus encore à son rang dans la science. « L’ordre des mathématiques, disait-il, n’est pas comme d’une histoire, là où vous pouvez entendre et éclairer un passage à la fin, au meillieu, au commencement, sans rien entendre au précédent ; mais en les mathématiques, l’ordre est non-seulement profitable, ains totallement nécessaire. » En reprochant à Euclide d’avoir méconnu cet ordre nécessaire, Ramus croyait sans doute avoir acquis le droit de l’imposer à Charpentier. Un autre tort de Charpentier était l’excès de son zèle : professeur de mathématiques et de philosophie, il menait de front les deux enseignemens, et, faisant deux cours à la fois, doublait le nombre des leçons. Les mathématiques seules, disait le tyrannique doyen, devaient suffire à l’occuper.

Charpentier enfin, en cela il avait tort, exigeait de ses auditeurs une légère rétribution, un teston par tête, c’est-à-dire deux francs environ de notre monnaie pour la durée du cours. Il s’écartait de la tradition généreuse et manquait à la règle prescrite par le fondateur. Ramus avait raison de protester contre ce « maquignonnage de la lecture royale. » Mais Charpentier nous apprend à cette occasion que, loin de l’enrichir, sa nomination au Collège Royal avait été ruineuse pour ses affaires domestiques, les appointemens fort inexactement payés par le roi étant bien inférieurs au salaire reçu de ses anciens auditeurs.

Charpentier, vainqueur sur tous les points, mais regrettant d’avoir payé par tant d’embarras et d’ennuis la diminution de ses revenus, eut le tort et l’indiscrétion, dans une brillante et spirituelle leçon d’ouverture, de mêler au récit de sa lutte avec Ramus l’histoire d’une rencontre sur le Petit-Pont et d’un salut qu’il a cru devoir accorder à l’âge et à la dignité du doyen; mais Ramus le foudroyant d’un regard, passa devant lui rogue et fier.

Les écoliers, toujours disposés, comme dit Rabelais, « à contemner les personnages querelleurs, » rirent sans doute aux dépens des deux pédans. Charpentier, dont l’esprit était fin, a dit lui-même : « Nous nous donnons en spectacle et en moquerie, mais qu’y puis-je? » Les écoliers d’ailleurs étaient habitués à entendre leurs maîtres s’étendre sur leurs affaires privées. Lambin, dans une de ses leçons d’ouverture, souvent fort éloquentes, raconte une visite