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à Catherine de Médicis, pour réclamer d’elle ses appointemens depuis longtemps suspendus. La reine s’excusa sur la difficulté des temps : « le trésor est vide, et les impôts ne rentrent pas, » dit-elle. Lambin, dans une de ses préfaces, raconte précisément qu’il ne payait pas régulièrement les taxes devenues trop lourdes; cela l’appauvrirait sans enrichir le fisc. La comparaison des dates ne permet pas de croire à une ironie qui, dans la réponse de la reine, serait moins piquante peut-être que l’aveu sincère de son embarras, suivi par la remise d’un léger acompte.

Charpentier, soit qu’il attaque, soit qu’il se défende, est rarement de mauvais goût, et malgré quelques mots un peu vifs qui, détachés du reste, donnent une très fausse idée de l’ensemble, sa polémique respecte suffisamment, pour le temps, les lois fort relâchées alors de la courtoisie. En se félicitant devant son nouvel auditoire de prendre rang parmi tant d’illustres collègues, Mercier, Cinqarbres, Duret, Lambin, d’Aurat, Léger du Chesne, Peregrinus, Turnèbe, Forcadell, reçoivent chacun une louange élégamment tournée, et prononçant enfin le nom de Ramus : « Ramus, dit-il, (ici l’attention de l’auditoire redoubla sans doute), Ramus, qui, doyen par le privilège de l’ancienneté, devrait être calmé et ralenti par l’âge (tardiores facere tibias) et que l’on rencontre fulminant, tonnant, brouillant et malmeslant tout par sa tyrannie. » Plus d’un écolier reconnut en souriant, dans ces derniers mots, les paroles mêmes d’un discours de Ramus, une allusion à l’acteur Roscius, et les plus instruits même un souvenir d’Aristophane.

Les inimitiés soulevées contre Ramus étaient nombreuses et puissantes ; impérieux et irascible, il abusait envers les écoliers de la peine du fouet, précédée souvent par des coups de pieds et de poings, qu’il administrait lui-même. Mais, en frappant, il restait maître de lui, et à cette époque où les jeunes princes avaient, dit-on, leurs professeurs de blasphèmes « pour les savoir changer et diversifier en toutes sortes et les bien prononcer, » Ramus, en châtiant les écoliers, ne s’emportait jamais jusqu’à jurer. Catholique zélé pendant plusieurs années, il ne souffrait pas que, dans son collège, un de ses serviteurs, écoliers ou régens, manquât un seul jour à la messe. Lorsque très publiquement et très dignement, sans autre intérêt que celui de la vérité, bravant la ruine et compromettant son crédit à la cour, il prit parti pour la réforme, le souvenir de son zèle un peu brutal pour les pratiques auxquelles il renonçait, rendit plus amères et plus vives les récriminations et les rancunes. Le témoignage d’un écolier nous apprend que la discipline catholique la plus rigoureuse fut maintenue au collège de Presles, longtemps après que, dans la conviction de tous, l’impérieux directeur