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sa manière contre un culte sanguinaire, érigeait la débauche en loi, l’infanticide en droit, et promenait de tribus en tribus ses triomphales orgies et ses vices dégradans. Mais, en dépit de ces revendications insensées de la chair contre des pratiques superstitieuses et cruelles, le fond religieux subsistait sévère et dur pour tous. La forme, en revanche, s’effondrait de toutes parts. Chefs et peuple étaient las de ces croyances et de ces rites; ils accueillirent comme des libérateurs les premiers missionnaires qui leur révélèrent une religion de paix et d’amour. Si austère dans la forme, si dogmatique dans le fond que puisse paraître le protestantisme aux races méridionales de l’Europe, il fut avidement reçu par ces races indigènes, plus frappées de la simplicité de son culte, de l’ensemble de ses prescriptions que de son manque de cérémonies et de pompes extérieures. Les missionnaires américains et anglais débarquaient sur ces îles avec leurs familles; leurs femmes secondaient leurs efforts et promptement conquéraient par leur exemple, par leur douceur et leur charité, les femmes indigènes réduites à un indescriptible état d’abjection. Elles les relevèrent à leurs propres yeux et à ceux de leurs maîtres; elles leur enseignèrent le respect d’elles-mêmes, la sainteté du mariage, leurs devoirs et aussi leurs droits, qu’elles ignoraient. En peu d’années, tout était changé. Il n’en fallut pas dix pour convertir les Sandwich et les archipels du Sud.

Des succès si rapides n’étaient pas sans danger. Les missionnaires protestans, quelques-uns du moins, ne s’en tinrent pas là. Ils avaient converti, ils voulurent gouverner. La confiance des chefs et du peuple leur rendait la tâche facile, mais ils ne surent pas résister à la tentation naturelle de fonder un gouvernement théocratique. Ils rêvèrent, eux aussi, leur Paraguay. Ce fut leur faute. Derrière eux marchait l’avant-garde de la civilisation, négocians aventureux, matelots sans aveu, émigrans de toute classe et de toute condition, pour qui toute terre nouvelle est une Golconde ; acharnés à la poursuite du lucre, spéculant surtout sur les vices des indigènes, âpres au gain et le demandant à tous les métiers, ils s’irritaient des restrictions imposées par les missionnaires, dénigraient leur œuvre et leurs prétentions à gouverner, lesquelles, par des fautes inévitables, affaiblissaient leur prestige religieux.

En agissant comme ils le firent, en donnant à leur propagande, au fond très désintéressée, l’apparence de convoitises politiques, les missionnaires protestans s’engagèrent dans une voie dangereuse. On le vit bien aux îles Sandwich où, menacés par le catholicisme au point de vue religieux, par l’immigration européenne au point de vue politique, ils en furent amenés par une série de fautes à se poser en champions de l’annexion aux États-Unis et en adversaires décidés du gouvernement auquel ils n’avaient plus part. On le vit