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à Tahiti, où, sous l’empire des mêmes influences, ils revendiquèrent l’intervention de l’Angleterre et suscitèrent sous main des résistances qui aboutirent à une guerre civile. Reconnaître leurs torts, ce n’est pas condamner leur œuvre. Elle eut deux phases. La première mérite l’admiration, la seconde impose des réserves.

Est-ce à dire que l’importation du catholicisme dans ces îles, déjà converties à la foi chrétienne, fut un bien? Non, à n’examiner que le côté religieux. Quatorze années de notre vie se sont écoulées parmi ces peuples, et nous devons dire que la foi parmi eux a été s’affaiblissant, que les missionnaires catholiques ont bien réussi à ébranler leur confiance dans le protestantisme, mais que, sauf dans un petit nombre de cas exceptionnels, ils n’ont pas substitué une croyance à une autre. Année par année, nous avons pu constater cet affaiblissement de la foi, ce détachement des idées religieuses, cette facilité à admettre, du protestantisme, ce qu’en disaient les prêtres catholiques et du catholicisme, ce qu’en disaient les pasteurs protestans. En voyant les hommes de race blanche en qui, pendant de longues années, ils avaient eu une confiance absolue, se combattre, se dénigrer, s’accuser réciproquement d’ambition et de convoitises déguisées sous le masque de la religion, les Kanaques en sont venus à ne plus les croire que dans le mal qu’ils disent les uns des autres et à donner créance à ces aventuriers qui, enveloppant dans une même haine la religion et ses ministres, leur prêchent de parole et d’exemple le mépris de l’une et des autres

Lorsqu’en 1860 l’Angleterre, jalouse de la suprématie commerciale des États-Unis aux îles Sandwich, entreprit de la combattre, elle crut bien faire en envoyant à Honolulu une mission anglicane dirigée par l’évêque Staley. La reine Emma appartenait à l’église anglicane, le roi s’y ralliait; leur exemple entraîna l’adhésion des principaux chefs et d’une partie de la population indigène, toujours prête à suivre l’impulsion venue de haut. Dans ces symptômes significatifs d’indifférence religieuse et d’engoûment passager, l’évêque Staley et son clergé ne virent que des conversions nombreuses, qu’un signe des temps, qu’un éclatant triomphe remporté sur l’austérité méthodiste et sur l’église catholique. La presse religieuse anglaise retentit de chants de victoire. Qu’en advint-il? Après la mort de Kaméhaméha IV, les églises anglicanes se vidèrent ; on prêcha dans le désert, et les Kanaques revinrent à l’indifférence dont la rivalité des sectes est la principale cause. A quelque point de vue que l’on se place, on admettra qu’il eût mieux valu pour ces peuples rester protestans, mais chrétiens, que de cesser d’être protestans sans devenir catholiques, et que les faibles recrues ainsi faites ne compensent pas le détachement des masses.