se remplissent de misérables ramassés dans la rue, les infidèles, (XXII, 1.) Il est dit encore, à propos de ce centurion romain en qui Jésus trouve plus de foi qu’il n’en a jamais trouvé en Israël, que le royaume du ciel recevra avec Abraham, Isaac et Jacob une multitude qui viendra d’orient et d’occident, tandis que les « fils du royaume » seront jetés « dans le cachot du dehors.» (VIII, 11.) Et c’est en vain que les Juifs disent en eux-mêmes : « Nous avons pour père Abraham. » « Car je vous le dis, avec ces pierres que voici, Dieu peut faire naître des fils d’Abraham.» (III, 9.) La parabole fameuse de Luc sur l’enfant prodigue a encore le même sens : il est le Gentil, et son aîné est le Juif. Tout cela est très clair, mais est-il vrai et est-il possible que Jésus ait parlé ainsi ?
Il y a d’abord des traits qui ne peuvent évidemment pas être de Jésus, ceux qui annoncent la destruction des Juifs et du judaïsme, comme le verset XII, 9, de Marc, dans la parabole de la vigne, et comme le passage suivant de Matthieu (XXIII, 31) : « Vous êtes les fils de ceux qui ont tué les prophètes. Maintenant donc, comblez la mesure de vos pères... Moi aussi, je vais vous envoyer des prophètes… et vous tuerez les uns et les mettrez en croix, et les autres vous les fouetterez dans vos synagogues et vous les chasserez de ville en ville, afin que retombe sur vous tout sang de juste répandu sur la terre, depuis le sang d’Abel le juste jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le sanctuaire et l’autel des sacrifices. Je vous le dis en vérité, tout cela viendra sur cette génération-ci. Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et lapides ceux-là mêmes qui t’ont été envoyés, combien de fois j’ai voulu rassembler sous moi tes enfans, de même que la poule rassemble ses petits sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! » La marque d’un autre temps est sur ces paroles si éloquentes. Ces lapides sont probablement ceux que fit exécuter le grand-prêtre Hanan en l’an 62 de son ère, comme je l’ai rappelé tout à l’heure. Et certainement ce Zacharie est celui dont parle Josèphe, qui fut assassiné par les fanatiques pendant le siège de Jérusalem au milieu de l’enceinte sacrée : ἐν μέσῳ τῷ ἱερῷ (Guerre des Juifs, IV, V, 4). On n’a pas réussi dans les efforts qu’on a faits pour appliquer le verset de l’évangile à un Zacharie antérieur. Quiconque suppose que Jésus a fait de telles prophéties se place en plein surnaturel, c’est-à-dire en dehors de toute critique.
Mais, d’une manière plus générale, il ne m’est pas possible d’attribuer à Jésus cette doctrine de la réprobation des Juifs et de la vocation des gentils. Rien ne pouvait le conduire à de pareilles idées. Non-seulement lui-même n’est jamais sorti de la Judée, mais aucun de ses apôtres n’a de son vivant prêché ailleurs. Matthieu même lui fait dire : « N’allez pas dans la voie des gentils, et si