Les femmes tiennent plus de place dans cet évangile que dans tout autre (voir X, 39; XI. 27; XXIII, 27). Néanmoins, dans tous ces passages, ce sont toujours les femmes elles-mêmes qui sont touchées. Quant à l’idée que Jésus à son tour ait été touché par elles, elle n’est indiquée nulle part absolument dans les Évangiles. L’imagination est libre de rêver à ce sujet ce qui lui plaira; mais elle ne trouvera pas dans les textes un seul mot pour y attacher ses rêves.
Je dirai donc que partout où la figure de Jésus, dans le plus ancien évangile, diffère d’une manière sensible de ce qu’elle est dans les deux suivans, tout porte à croire que c’est dans le premier qu’elle est le plus vraie.
Quant au quatrième évangile, il est tellement à part, qu’il n’y a pas évidemment à en tenir compte pour se représenter ce qu’était Jésus. Il n’y prononce que des discours absolument inintelligibles à la foule, pleins de mystères, de symbolisme et de métaphysique; c’est un alexandrin et non plus un juif. Je laisse là ces subtilités pour m’arrêter à un passage qui est au contraire un des plus beaux qu’il y ait dans les Évangiles, mais dont l’élévation même empêche qu’on ne l’accepte comme authentique. C’est la réponse de Jésus à la femme samaritaine, qui vient de lui dire (IV, 20) : « Nos pères ont adoré sur cette montagne (de Sichem), tandis que vous autres, vous dites que c’est à Jérusalem qu’il faut adorer. » Et Jésus lui dit : « Femme, crois-moi; le temps va venir que vous n’adorerez plus le Père sur cette montagne non plus qu’à Jérusalem... Le temps va venir, et c’est tout à l’heure, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité. » Ce langage est grand, mais il n’a pu être celui de Jésus. Il est trop en contradiction avec celui qu’il tient dans les anciens évangiles, et qui est celui qu’il devait tenir. C’est non-seulement quand le Temple n’existait plus, mais encore c’est parmi des hommes qui ne se souciaient plus du Temple et qui vivaient sous des influences purement helléniques, qu’on a pu imaginer un tel discours. Je conclus que, pour se représenter ce qu’a été véritablement Jésus, il faut revenir au plus ancien évangile et nous garder de ce qui en altère l’impression, même pour la rendre plus vive ou plus grande.