Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

main comme un billet de banque et permet à chacun d’avoir sa part, petite ou grande, de la richesse nationale : révolution silencieuse, invisible, mais qui prépare toute une transformation sociale. M. Leslie généralise l’idée de Roscher et il nous dit ceci : « Chaque époque successive du progrès social présente des phénomènes que l’économiste, le moraliste, le juriste, le philosophe ont à considérer chacun à leur point de vue. Les mêmes institutions : la famille, la propriété, l’hérédité, le salariat, dans leurs formes diverses, doivent être examinées et jugées, sous le rapport de l’utile, du juste, du bien final et général. On n’aura que des vues superficielles et même erronées si on ne les considère que d’un seul côté.

On discerne une évolution à la fois morale et intellectuelle dans la façon dont les hommes sont arrivés à produire de quoi satisfaire à leurs besoins, d’abord par la chasse et le cannibalisme, puis par la domestication des animaux et le régime pastoral, plus tard par l’agriculture combinée avec l’esclavage ou le servage, enfin par l’industrie libre et le commerce pratiqués au moyen du salariat. Dans cette évolution, tous les usages, toutes les lois relatives à la propriété, aux fonctions, au travail, présentent un aspect à la fois juridique et économique qui se modifie successivement. A l’origine, l’homme est absorbé dans la vie collective de la tribu, qui est assez semblable à la cellule d’une masse active, mais amorphe : communisme du sol, communisme des femmes, responsabilité « tribale, » uniformité, identité de tous les actes. On dirait une association de castors ou de fourmis. Aujourd’hui, l’individu apparaît dans son indépendance, avec la propriété individuelle, la responsabilité individuelle, la liberté individuelle, le mariage monogame, le testament, le droit de voter et de juger, et aussi avec l’amour du changement et la soif du progrès, source de transformations beaucoup plus nombreuses et surtout bien plus rapides qu’autrefois. Est-ce que les lois économiques ne doivent pas tenir compte de ces modifications radicales de l’organisation sociale? Si l’économie politique veut conserver l’influence qui lui revient, elle ne peut pas s’enfermer dans ses formules abstraites, que l’on considère à tort comme l’alpha et l’oméga de la science. S’appuyant sur l’histoire, la statistique, la morale et le droit, elle doit chercher quelles sont les lois qu’il faut adopter pour que les hommes puissent arriver, par le travail et en proportion du travail, à la satisfaction de leurs besoins rationnels. Je crois pouvoir le dire sans manquer au respect qui lui est dû, l’économie orthodoxe, répétant les axiomes de son catéchisme, a perdu tout crédit, même quand elle trouve pour organe un esprit aussi distingué que lord Sherbrooke. On cesse de l’écouter, parce qu’elle n’apporte aucune solution