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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/695

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vient trouver l’expérimentateur trop prudent, où qu’il s’abrite, tandis que la fortune se plaît à choyer les audacieux intelligens, qui, marchant bravement du connu vers l’inconnu, regardant, écoutant, n’avançant d’ailleurs qu’autant qu’ils savent leur retraite assurée.

Parmi les espèces pures, il en est qui ont brillé, puis fléchi[1]. Proscrivons-les, comme le font les Américains, et comme jadis en France nous proscrivions les variétés que l’expérience avait trouvées plus sensibles que d’autres à l’oïdium, à l’anthracnose, etc.

Les défaillances des labrusca confirment ma foi dans les estivalis, puisque, dans un même milieu phylloxéré, l’un périt et l’autre prospère.

Le riparia se défend d’autant mieux qu’il est peu attaqué; on trouve peu de phylloxéras sur ses racines, qui semblent avoir en outre une constitution inattaquable.

Le cordifolia a les mêmes qualités de résistance, mais est de reprise difficile. Peut-être supporte-t-il mieux l’aridité et l’altitude.

Je cite le rotundifolia pour mémoire. La constitution de sa racine l’amènera peut-être à nous servir un jour. Actuellement, on ne lui connaît d’autre aptitude que celle de la résistance.

Je me résume :

Les essais antérieurs à 1801 ont échoué parce que la vigne européenne a rencontré dans le nouveau monde un ennemi implacable et inconnu: le phylloxéra.

Les essais de la colonie de Vevay ont donné des résultats heureux, mais encore incomplets, avec le schuylskill-labrusca, accessible au phylloxéra, quoiqu’il puisse vivre avec lui, s’il est placé dans un milieu favorable. Cette résistance douteuse, le goût foxé de ses fruits atténuent les qualités de précocité et de fertilité communes à sa race[2].

Les produits de l’hybridation du labrusca avec les estivalis, riparias, cordifolias sont entachés de cette même variabilité de résistance[3] ; sur ce terrain mouvant pas de théories possibles : prudence, patience, expérience ; pour une fois je tombe d’accord avec M. de Lafitte.

Mais les estivalis résistent certainement assez longtemps pour nous payer de nos peines, peut-être résisteront-ils toujours. Leur vin ressemble aux vins français; sa couleur, son degré d’alcool, varient du narbonne le plus corsé aux vins rosés les plus légers. Il ne remplacera évidemment jamais les grands crus, mais il se faufilera partout où se faufilait

  1. Le catawba en est un exemple. Le major Adlum signalait ce labrusca vers 1820 en disant qu’il croyait rendre à son pays, en vulgarisant cette variété, un service égal à celui qu’il lui rendrait en payant la dette nationale.
  2. Je ferais peut-être une exception pour le hartford-prolific, si vigoureux, si fertile qu’il mérite l’appellation qu’il a reçue : the grape for the million.
  3. Le Clinton, dérivé du cordifolia, succombe dans le Midi; pourtant il a produit le vialla, qui résiste vigoureusement partout.