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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/774

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entrèrent dut s’engager par une promesse d’honneur à ne nous rien communiquer de ce qui s’y passerait.

Quoique le gouvernement de Votre Majesté n’eût aucune des vues qu’on lui supposait, quoiqu’il n’eût rien à demander pour lui-même, et qu’il ne voulût rien demander, tout ce qui devait être réglé par le congrès était pour lui d’une haute importance. Mais si son intérêt sur la manière de le régler différait de l’intérêt actuel et momentané de quelques-unes des puissances, il était heureusement conforme à l’intérêt du plus grand nombre et même aux intérêts durables et permanens de toutes.

Buonaparte avait détruit tant de gouvernemens, réuni à son empire tant de territoires et tant de populations diverses, que, lorsque la France cessa d’être l’ennemie de l’Europe, et rentra dans les limites hors desquelles elle ne pouvait conserver avec les autres états des rapports de paix et d’amitié, il se trouva sur presque tous les points de l’Europe de vastes contrées sans gouvernement. Les états qu’il avait dépouillés sans les détruire entièrement ne pouvaient recouvrer toutes les provinces qu’ils avaient perdues, parce qu’elles avaient en partie passé sous la domination de princes qui, depuis, étaient entrés dans leur alliance. Il fallait donc, pour que les pays devenus vacans[1] par la renonciation de la France eussent un gouvernement, et pour indemniser les états qui avaient été dépouillés par elle, que ces pays leur fussent partagés. Quelque répugnance que l’on dût avoir pour ces distributions d’hommes et de pays, qui dégradent l’humanité, elles avaient été rendues indispensables par les usurpations violentes d’un gouvernement qui, n’ayant employé sa force qu’à détruire, avait amené cette nécessité de reconstruire avec les débris qu’il avait laissés[2].

  1. D’après les instructions données aux plénipotentiaires français au congrès de Vienne, les pays vacans se divisaient en deux classes : 1° en pays attribués, par le traité du 30 mai : au roi de Sardaigne, la Savoie, le comté de Nice, une partie de l’état de Gênes; à l’Autriche, l’Illyrie et l’Italie du Pô au Tessin ; à la Hollande, la Belgique et la frontière de la Meuse ; à la Prusse, les pays compris entre la Meuse, la France et le Rhin; 2° en pays dont ledit traité n’avait pas fait d’attribution : le reste de l’état de Gênes, une partie de l’Italie, Lucques, Piombino, les îles Ioniennes, l’ancien grand-duché de Berg, l’Ost-Frise, la Westphalie prussienne, Erfurt et Danzig. ainsi que l’île d’Elbe, dont Napoléon Ier n’était que le souverain viager.
    (Voir d’Angeberg, p. 215 et suiv.)
  2. « Napoléon eut le soir (du 4 avril 1814) un long entretien avec Caulaincourt, qui en emporta une impression ineffaçable… Il s’efforçait de persuader à cet unique auditeur chargé de porter sa parole au monde, et il s’efforçait peut-être de se persuader à lui-même, qu’il n’avait agi que pour la France; il répéta ce mot, qui lui avait déjà échappé une première fois, et le répéta avec une angoisse vraie et profonde : « Ah! laisser la France si petite, après l’avoir reçue si grande! »
    (Henri Martin, Hist. de France, t. IV, p. 93.)