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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 44.djvu/775

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La Saxe était sous la conquête, le royaume de Naples était au pouvoir d’un usurpateur ; il fallait décider du sort de ces états.

Le traité de Paris portait que ces dispositions seraient faites de manière à établir en Europe un équilibre réel et durable[1]. Aucune puissance ne niait qu’il fallût se conformer à ce principe ; mais les vues particulières de quelques-unes les abusaient sur les moyens de remplir l’objet.

D’un autre côté, c’eût été vainement que cet équilibre eût été établi, si l’on n’eût en même temps posé, comme une des bases de la tranquillité future de l’Europe, des principes qui seuls peuvent assurer la tranquillité intérieure des états, en même temps qu’ils empêchent que, dans leurs rapports entre eux, ils ne se trouvent uniquement sous l’empire de la force.

Votre Majesté, en rentrant en France, avait voulu que les maximes d’une politique toute morale reparussent avec elle, et devinssent la règle de son gouvernement. Elle sentit qu’il était nécessaire aussi qu’elles parvinssent dans les cabinets, qu’elles se montrassent dans les rapports entre les différens états, et elle nous avait ordonné d’employer toute l’influence qu’elle devait avoir et de consacrer tous nos efforts à leur faire rendre hommage par l’Europe assemblée. C’était une restauration générale qu’elle voulait entreprendre de faire[2].

  1. Voici une définition de l’équilibre européen telle qu’elle est donnée dans une des instructions relatives au congrès de Vienne :
    « C’est une combinaison des droits, des intérêts et des puissances entre elles, par lesquelles l’Europe cherche à obtenir : 1° qu’aucune puissance seule, ni aucune réunion de puissances ne puisse parvenir à dominer l’Europe ; 2° que l’état de possession et les droits reconnus d’une puissance ne puissent être atteints au gré d’une autre puissance ou d’une réunion de puissances ; 3° que, pour maintenir l’ordre de choses établi, on ne soit pas dans la nécessité d’un état de guerre imminente ou réelle, mais que la combinaison dont il s’agit assure le repos et la paix de l’Europe en diminuant les chances de succès pour celui qui voudrait la troubler. »
  2. Voir d’Angeberg, p. 540. Lettre de Talleyrand à Metternich.
    « Le rôle des ministres de la France au congrès de Vienne était au fond le plus simple et le plus beau de tous. Tout ce qui regardait la France se trouvant réglé par le traité de Paris, ils n’avaient rien à demander pour eux-mêmes et pouvaient se borner à surveiller la conduite des autres, à défendre les faibles entre les forts, à contenir chaque puissance dans ses justes bornes, et à travailler de bonne foi au rétablissement de l’équilibre politique. Aussi doit-on leur rendre la justice qu’ils se sont généralement conduits d’après ces principes, qu’ils n’ont fait aucune proposition, articulé aucun projet tendant directement ou indirectement au moindre changement dans les stipulations du traité de Paris, à la moindre extension de leurs frontières ou à une prétention quelconque incompatible avec les droits de leurs voisins ou avec la tranquillité générale. En dépit de tous les mensonges qui courent encore le monde aujourd’hui, de tous les plans, de toutes les démarches, de toutes les intrigues que la haine invétérée contre la France a faussement et souvent ridiculement prêtés à ses ministres l’histoire véridique ne pourra pas leur refuser ce témoignage honorable ; et moi, qui ai vu de tout près et qui, mieux que tout autre, pourrais écrire un jour cette partie de l’histoire, je suis le premier à le leur rendre. »
    (Mémoires de Metternich, t. II, p. 480.)