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réalité cependant, elle avait donné à la France de longues années de prospérité intérieure, de liberté régulière, et loin de mériter son sort comme la monarchie qui l’avait précédée pour avoir voulu violer les lois, elle tombait avec la loi. Elle se survivait à elle-même par ses œuvres, par les intérêts qu’elle avait développés, par les habitudes qu’elle avait créées, par l’estime qu’elle avait conquise dans sa vie laborieuse. À l’extérieur, elle avait pu, il est vrai, se donner parfois des apparences de faiblesse et risquer sa popularité en contenant les impétuosités du sentiment national, les ardeurs guerrières et révolutionnaires. Elle avait du moins réussi, sans troubler la paix du monde, à dégager la France sur sa frontière du nord par la création d’une Belgique indépendante, à fonder un royaume algérien sur la Méditerranée, à maintenir l’honneur de nos armes à Anvers comme à Isly, dans le golfe du Mexique comme au Maroc. Elle s’était fait une assez grande place pour que sa chute retentît en Europe, attestant encore l’influence française, — et cette politique de la paix qu’on lui avait si souvent reprochée n’était pas si déshonorante, puisque le lendemain Lamartine, le premier porte-parole de la république naissante, ne trouvait rien de mieux que de la reprendre en la relevant par la pompe du langage. En un mot, la monarchie de juillet, dans sa défaite, avait cette fortune de disparaître sans avoir manqué à la constitution ni aux lois, de laisser la France libre, intacte dans ses frontières comme dans son ascendant.

C’était au contraire la fatalité de la révolution du 24 février 1848 de se produire comme un grand désordre, comme une catastrophe sans nécessité et sans préparation, sans profit et sans gloire, mais non sans des conséquences redoutables et lointaines qui ne sont pas encore épuisées. La révolution de 1848 avait cela de caractéristique et de périlleux de rejeter brusquement la société française dans l’inconnu, d’interrompre d’un seul coup tout un mouvement qui, après avoir commencé au lendemain de l’empire, s’était continué sous les deux monarchies, qui tendait à la fondation d’un régime de libertés régulières, de progrès gradué, à l’abri des convulsions d’anarchie et des dictatures. Sous prétexte d’un droit populaire, dont quelques chefs de sédition violateurs des lois et du parlement se constituaient les ministres, elle était la réintégration de la force dans les affaires de la France, et en naissant de la force elle appelait, elle provoquait les réactions de la force. Elle rouvrait cette voie qu’on croyait fermée, où selon le mot expressif du chef le plus brillant de la révolution, « les 18 brumaire du peuple préparent les 18 brumaire du despotisme. » Chose curieuse, qui montre avec quelle rapidité les situations mûrissent et la logique des événemens se dégage ! À peine la monarchie constitutionnelle vient-elle de