la France que, lorsqu’il s’agissait de l’indépendance de l’assemblée, de l’avenir du gouvernement représentatif et de l’existence de la dernière assemblée peut-être qui nous représentera véritablement, vous républicains, vous avez refusé de m’entendre!.. » Vainement aussi les partisans les plus sérieux de la république, le général Cavaignac, le colonel Charras, M. Jules Grévy, M. Dufaure, M. Barthélémy Saint-Hilaire, se ralliaient à la proposition. On ne les écoutait pas plus que M. Thiers, et la proposition des questeurs allait expirer au scrutin par la coalition des républicains extrêmes et de la fraction de la majorité qui hésitait à prendre la responsabilité d’une rupture déclarée avec l’Elysée. Si la proposition des questeurs eût été votée, c’était sans doute en effet la guerre immédiate; par son vote d’impuissance, l’assemblée s’avouait vaincue : elle se livrait, elle restait désarmée. Le dénoûment n’était pas douteux.
Et maintenant qu’on reprenne encore une fois par la pensée cette série de faits, la révolution rouvrant l’ère des aventures, la république sortant meurtrie de la guerre civile de juin, le pays s’épuisant en oscillations, le pouvoir d’un Napoléon renaissant d’une fascination du peuple favorisée par l’anarchie, les partis se poursuivant d’animosités implacables et se ruinant les uns les autres au profit de ce pouvoir impatient de règne; qu’on se rappelle en même temps où tout cela avait conduit, ce qui se passait aux derniers jours de novembre 1851 : évidemment tout était prêt pour la crise décisive. L’idée d’un coup d’état était tellement accréditée qu’on en parlait tout haut dans les réunions, dans les salons, quelquefois en plaisantant, comme de l’événement du lendemain, tout au plus du surlendemain. L’opinion était devenue tellement sceptique que quelques députés qui s’étaient réunis, une nuit, au Palais-Bourbon pour leur sûreté, qui faisaient surveiller l’Elysée, se voyaient livrés au ridicule. Le républicain Michel de Bourges s’amusait un peu pesamment, surtout avec une rare prévoyance, de ces « réunions nocturnes, » de ce qu’on appelait dans le public les « patrouilles grises » des questeurs autour de l’Elysée. On en était là lorsque tout à coup éclatait la catastrophe emportant à la fois et l’assemblée et la constitution, et M. Thiers et le général Cavaignac, et la république et les rêves monarchistes avec les libertés parlementaires. Au 24 février 1848 répondait, à près de quatre ans de distance, le 2 décembre 1851, — qui à son tour devait trouver une tragique et foudroyante réponse en 1870, après ces dix-huit années où tout était à reconquérir, où M. Thiers lui-même avait à reprendre un rôle et pour la revendication des libertés perdues et pour la grandeur française malheureusement compromise.
CH. DE MAZADE.