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ou rencontrées qui l’obsèdent jusqu’à ce qu’il les ait fixées dans une action dramatique ou dans une intrigue de roman, ce n’est pas enfin un certain état d’âme ou de conscience dont il éprouverait le besoin de retrouver les antécédens ou de déterminer les conséquences psychologiques. Non ! ce sont des informations qu’il a prises, en sa qualité de journaliste à qui rien de parisien ne doit demeurer étranger, et que le moment est venu de mettre en œuvre, parce qu’elles se présentent comme autant de réponses à des préoccupations actuelles de l’opinion publique, « On trouvera, nous dit-il dans la courte Préface qu’il a mise à ce dernier roman, étudiée dans ce volume — et pour la première fois par un romancier, — une des formes les plus étranges de la grande maladie du siècle. » Qu’est-ce à dire? vous l’entendez bien. Il n’est bruit, dans toute une province du monde savant, que des expériences d’un illustre professeur : M. Claretie saisit l’occasion et la saisit avidement; et plutôt que de ne pas utiliser toutes ses notes, il se condamnera de gaîté de cœur à nous raconter les étranges amours de l’étudiant en médecine Finet avec Lolo la cataleptique.

C’est ici que la question devient intéressante.

En effet, les auteurs du Mariage de Rosette et l’auteur des Amours d’un interne semblent avoir de quoi répondre, et répondre victorieusement. Oui, diront-ils, nous prenons des notes, autant de notes que nous pouvons prendre, et nous copions la réalité, nous la calquons, d’aussi près que nous puissions la calquer, que voulez-vous davantage? Au surplus, bien loin d’avoir aucun parti-pris de voir les choses en mal et de les peindre en laid, remarquez au contraire que nous faisons effort pour « dégager de la réalité littérale ce souffle de rêve qui est comme la brise de ce monde. » Que prétendez-vous donc que l’on fasse? et que faut-il pour vous contenter? Si par hasard nous construisons en dehors et au-dessus de la réalité présente, dans le monde idéal du rêve et de la poésie, vous nous accusez de combiner l’imaginaire avec le fantastique, mais voici que nous essayons d’être vraisemblables, d’être vrais, d’être réels; de ne rien peindre que nous n’ayons vu de nos yeux, de ne rien dire que nous n’ayons entendu de nos oreilles, de ne rien inventer que vous ne puissiez confronter avec son original, et vous nous ferez un grief de l’exactitude même de nos informations, vous retournerez contre nous les scrupules de notre conscience d’artiste, et vous crierez au reportage ! Mais où donc enfin voulez-vous que l’on prenne la matière, l’étoffe, la substance d’une littérature, sinon dans la vie contemporaine elle-même? Sans doute ce ne sont pas des Manfred et des Lara que vous nous demandez, des Han d’Islande et des Quasimodo! Il n’y en a plus, si tant est qu’il y en ait jamais eu. Que reste-i-il, par conséquent, que d’imiter la vie quotidienne? Et la vie quotidienne, où est-elle, sinon dans nos journaux, journaux du soir et journaux du matin,