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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/464

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insolemment. Au premier rang, Mme de Montespan, alors dame du palais de la reine, de grande race, belle, spirituelle, hardie, provocante, avec cela fort mal dans ses affaires, embarrassée de grosses dettes et, pour tenir sa place, obligée d’emprunter un peu de toutes mains. Elle avait bien noté, dés les premiers mois de 1666, quelques symptômes accusateurs d’un affaiblissement de la passion du roi pour La Vallière. Et pourtant ses avances étaient jusqu’alors en pure perte : le maître ne daignait encore ou n’osait se déclarer. Il aimait la société de Mme de Montespan, et dans sa conversation étincelante, visiblement, il prenait un plaisir qu’il ne trouvait pas dans l’entretien tout uni sans doute et tout sentimental de La Vallière. Mais cela n’allait pas plus loin. Il était retenu par un reste de timidité juvénile, qu’il ne devait perdre qu’au contact de Mme de Montespan. C’est alors que, pour précipiter l’événement, Mme de Montespan se résolut d’aller consulter la Voisin.

Nous ne saurions ici, faute d’espace, et surtout par respect pour le lecteur, entrer dans le détail des manœuvres de toute sorte auxquelles se soumit la furieuse ambition de Mme de Montespan. Bornons-nous donc à dire qu’une fois aux mains de du Voisin et de ses hideux acolytes, — Mariette, Lesage et Guibourg, — il n’est pratiques, ineptes et sacrilèges, obscènes et criminelles, qu’elle n’ait tour à tour essayées contre le roi. A peine est-il possible de rappeler une certaine messe dite par Guibourg, prêtre de son métier, sur le ventre nu de Mme de Montespan en guise d’autel ; mais ce qui est impossible, c’est de transcrire la formule des abominables mixtures que l’on fit avaler à Louis XIV et que nous voyons confiées à Mlle des Œillets, femme de chambre de Mme de Montespan. Ajouterai-je que, tandis que l’apparence de l’affaire semble reporter l’imagination au siècle légendaire des Borgia, si l’on pénètre dans le détail, il se mêle ici je ne sais quel excès de superstition, de crédulité bête et de monstrueuse ineptie qui soulève autant de pitié que d’indignation et d’invincible dégoût que d’horreur ? M. P. Clément, dans le livre qu’il a donné sur Madame de Montespan et Louis XIV, a tenté vainement de disculper la favorite. En fait, il a plutôt évité la lumière qu’il ne l’a cherchée. Les preuves sont là, — dans les Interrogatoires absolument authentiques de la Voisin, de Mariette, de Lesage, de Guibourg, de vingt autres ; elles sont surtout dans les Rapports de La Reynie, que nous avons en minutes originales, honnête homme, peu crédule, très perspicace, et qui, chargé de cette difficile instruction, n’ouvrit les yeux qu’à la lumière d’une éclatante évidence, — et ces preuves sont accablantes. On peut, et même on doit, je crois, en l’absence de preuves juridiques, décharger Mme de Montespan de toute accusation de tentative d’empoisonnement ou d’assassinat dirigée contre La Vallière, ou plus tard contre Mlle ee Fontangas ; on ne peut pas nier que, médiocrement confiante au pouvoir de sa beauté, de son esprit même et