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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 45.djvu/517

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Barbier de Rossini ainsi qu’au Prophète de Meyerbeer, et j’estime que Candide et que l’épisode de Velléda sont des chefs-d’œuvre. Cela me met à l’aise, et je n’aurai nul besoin d’effort pour rester équitable.

Je ne parlerai que des morts, et seulement des morts que j’ai connus, de ceux qui ont ou qui auraient laissé trace de leur passage ici-bas ; les uns sont déjà oubliés, d’autres vivent encore dans le souvenir des hommes. C’est dans mon ossuaire particulier que je vais entrer et non pas dans le vaste cimetière où reposent les générations dont j’ai été le contemporain. Je suis un trop mince personnage, je me suis trop résolument tenu à l’écart de la vie publique, pour me permettre d’écrire des mémoires ; je recueille mes souvenirs, rien de plus ; peut-être ne seront-ils pas inutiles pour aider à fixer certains détails de l’histoire littéraire de mon temps. Je n’ai pas la prétention d’élever un édifice à ceux qui ne sont plus ; mon but est plus modeste ; j’apporte ma pierre, ma petite pierre, humble et personnelle, au monument que l’on construira plus tard en leur honneur, lorsque la postérité séparée d’eux par l’œvi spatium appréciera leurs aptitudes, pèsera leurs œuvres et classera leur talent. Tous ne survivront pas, mais dans ceux dont le nom doit subsister on reconnaîtra sans peine un désintéressement des choses éphémères et un amour de l’art qui méritent d’être loués. Tous ont été des hommes de bon vouloir, et c’est pourquoi ils peuvent affronter avec sérénité le jugement de l’avenir. Pour faciliter ce jugement, j’apporte ma déposition ; , je ne suis qu’un simple témoin et je me hâte de parler « sans haine et sans crainte » de ceux que j’ai côtoyés dans une existence déjà longue, avant qu’entre eux et moi il y ait communauté de poussière.


I. — L’ENFANCE.

Ma première amitié littéraire date du jour même de ma naissance, À cette heure pleine d’angoisses où l’on attend l’arrivée du nouveau-né, un domestique maladroit posa une bassinoire sur le berceau préparé ; la bassinoire s’ouvrit, laissant échapper les charbons ardens ; le berceau fut brûlé. Je profitai de la circonstance pour apparaître. Ma mère était assistée par une de ses amies intimes, jeune et jolie femme, qui déjà avait un fils et dont l’appartement était contigu à celui où je venais de faire entendre mon premier vagissement. Cette jeune femme courut chez elle et en fit apporter le berceau, où dormait son enfant, alors âgé de neuf mois. Lorsque