qui tendrait à prouver que l’on peut faire des drames et être un bon pédagogue.
Un jour, — en 1830 ou en 1831, — deux « nouveaux » firent leur entrée à la classe du matin. C’étaient les deux frères ; le plus jeune, blond, petit, un peu mièvre, d’une jolie figure fine et allongée, fut promptement surnommé Jésus à cause de son extrême douceur ; l’aîné était tout l’opposé ; c’était un garçon pétulant, résistant, hautain, toujours prêt à la bataille et criant : « Vive l’empereur ! » quand il avait poché l’œil d’un de ses camarades. Il n’était pas très grand, mais sa grosse tête, éclairée de deux énormes yeux noirs très mobiles, lui donnait quelque chose de démesuré. Il nous inspirait quelque crainte et même une sorte de respect qu’il nous eût été difficile d’expliquer, mais que nous subissions involontairement. Lorsque c’était son tour d’être moniteur, nous ne nous tenions pas d’aise, car il était « bon enfant, » et au lieu de nous faire lice les préceptes de morale imprimés sur les tableaux, il nous racontait des histoires. Et quelles histoires ! toujours les mêmes et toujours écoutées avec une indicible émotion. C’était la retraite de Russie, la bataille de Leipzig, la campagne de France, la bataille de Waterloo. Nous étions haletans. « Alors l’empereur fit venir le maréchal Ney, celui que Louis XViii a assassiné ; il luit dit : « Prince, tu vas prendre ma vieille garde et tu vas enfoncer les Anglais ! » Le maréchal répondit : « Oui, sire ! » Il galopa et dit à la garde : « En avant et vive l’empereur ! » Alors la garde partit l’arme au bras, en riant, pour prouver aux Anglais qu’elle n’avait pas peur. Les deux armées cessèrent de combattre et applaudirent ; c’était superbe ! Quand la garde fut à portée de l’ennemi, elle s’arrêta et mordit ses cartouches pour charger ses fusils ! Dans les cartouches il n’y avait pas de poudre, il n’y avait que du son. — C’était Bourmont, le traître Bourmont, qui, avant de livrer le plan de campagne au roi d’Angleterre, caché dans une ferme voisine, avait fait enlever la poudre des cartouches et l’avait remplacée par du son ou par de la cendre. C’est pour cela que nous avons été vaincus, c’est parce que nous avons été trahis ; sans cela nous étions certains de la victoire. — La garde cria : « Trahison ! trahison ! » et continua d’avancer, parce qu’elle n’aurait pas su reculer quand même elle l’aurait voulu, Les Anglais amenèrent leur artillerie de siège ; la garde, toujours l’arme au bras, disait : « La garde meurt, elle ne se rend pas. » Elle mourut tout entière ; l’endroit où elle est morte s’appelle Mont-Saint-Jean. L’empereur se mit à pleurer et dit : « Adieu, mes braves ! » Alors il y eut un prodige. Un aigle qui volait au-dessus du champ de bataille tomba mort aux pieds de l’empereur. On comprit que tout était fini ! .. » Nous étions